L'ABBE PIERRE

 

Les dix vies de l'abbé des sans-logis

 

      
 Victime d'une infection pulmonaire, le prêtre qui a consacré sa vie aux mal-logés et fondé la communauté d'Emmaüs est mort le 22 janvier 2007, à 94 ans.

Politique, lobbyiste, ecclésiastique et un peu tout cela à la fois, Henri Grouès, devenu l'abbé Pierre, s'est éteint hier matin à 94 ans à l'hôpital du Val-de-Grâce, à Paris. Plus d'un demi-siècle de mobilisation en faveur des sans-abri et de harcèlement des politiques pour améliorer le sort des déshérités en ont fait un homme à la popularité inoxydable. Et aux multiples facettes. Parfois contradictoires.
Voici savie tirée d'un trait sur le site" Famille et Généalogie"

le 22 janvier 2007, disparaissait l'abbé Pierre. Lors du terrible hiver 1954, lorsqu'il lance son appel sur RTL et obtient une " insurrection de la bonté ", avec 500 millions de francs de dons venus de toute la France et dix milliards de francs de crédit de l'État pour construire 12 000 logements d'urgence pour les défavorisés, c'est un miracle. Mais, si l'on y regarde de près, sa vie aussi semble être une succession de miracles..
Déjà exceptionnel dès l'enfance dans sa foi, le futur abbé Pierre, de son vrai nom Henry Grouès, a à seize ans un " coup de foudre avec Dieu ", pour reprendre ses propres mots, et décide d'entrer en religion, même s'il doit attendre parce qu'il est trop jeune.
Il renonce à dix-neuf ans, par acte notarié, à sa part du patrimoine familial et distribue tout ce qu'il possède aux oeuvres de charité. Son entrée dans les ordres se fait peu après.
Son appel de 1954 est resté dans l'histoire. Modeste, il précise que : " Il y a cinquante ans, tous sortaient à peine des atrocités de la guerre. Tous avaient dû fuir, chacun se sentait proche des réfugiés. Les gens se rappelaient la souffrance et la peur. Ils étaient davantage prêts à réagir ".
Cet homme qui ne cherchait rien pour lui, mais tout pour les pauvres, est désigné pourtant dix-sept fois par les sondages " personnalité préférée des Français ", ce qui est à la fois pour lui, selon ses mots, " une arme et une croix ".
Il échappe à la mort dans le jeune âge. Surtout, les maladies et accidents nombreux qu'il va connaître vont lui donner une image de miraculé. Né en 1912, il était en effet dès l'enfance d'une santé fragile, échappa à une pneumonie et frôla plusieurs fois la mort. Il atteindra pourtant vaillamment ses 95 ans !
Il échappe aux dangers de la montagne: Pendant la guerre, il fait passer en Suisse des familles juives et des hommes qui veulent continuer le combat contre l'Allemagne depuis l'étranger (dont le frère du général de Gaulle). Au cours d'un de ces trajets clandestins en montagne, il tombe dans une profonde crevasse, mais en réchappe, miraculeusement indemne.
Il échappe aux nazis: En 1943 ensuite, après avoir créé des maquis en Chartreuse et dans le Vercors, il est arrêté par les Allemands à Cambo-les-Bains, dans les Pyrénées. Mais il leur échappe, réussit à passer en Espagne puis à gagner le Maghreb pour rejoindre le général de Gaulle et continuer la lutte.
Il échappe aux accidents d'avion: En 1950 en Inde, les moteurs de l'avion dans lequel il voyage tombent en panne. Il échappe de justesse à un accident mortel, l'atterrissage d'urgence ayant permis la survie du pilote et des passagers.
Il échappe à la noyade: En 1963, nouveau drame : le bateau qui le transportait sur le rio de la Plata, entre l'Argentine et l'Uruguay, coule. Quatre-vingts passagers perdent la vie. Mais lui survit, accroché pendant des heures à un bout de bois à l'aide de son couteau suisse !

L'abbé Pierre disait donc que son ange gardien avait eu fort à faire, mais que Dieu voulait certainement qu'il puisse poursuivre ses missions sur terre.

À la fin de sa vie, il aspirait pourtant profondément au repos : " Je vis dans l'impatience de la mort. Récemment, le médecin m'a dit : 'Il n'y a pas de raison que vous ne viviez pas encore plus vieux que M. Pinay.' Je suis reparti avec un cafard monstre : sans blague, il faut encore tirer la charrette pendant tout ce temps ! [...] Nombreux sont ceux qui vivent la mort comme une séparation. Oui, c'est une séparation pour nous, qui restons. Mais pour celui qui vient de mourir, il va connaître la rencontre la plus fantastique que l'on puisse imaginer : la rencontre avec Dieu ". C'est fait depuis un an : le rendez-vous était pour le 22 janvier 2007...

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Le caritatif
«Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée cette nuit à 3 heures sur le trottoir du boulevard Sébastopol.» Le début de  l'engagement de l'abbé Pierre en faveur des démunis est souvent daté de son appel du 1er février 1954 sur les ondes de RTL. Mais, bien avant ce coup de sang médiatique, il avait commencé à agir dans l'anonymat en organisant un peu partout des campements de mal-logés : à Neuilly-sur-Marne (1951), à Pontault-Combault (1952), à Pomponne (1953). Il s'agit souvent de bicoques construites avec des matériaux de récupération, ou d'une concentration de tentes et de roulottes. L'histoire commune de l'abbé Pierre avec les mal-logés commence par la location d'une grande maison à Neuilly-Plaisance, en 1947. L'ecclésiastique en fait sa résidence principale et un lieu de rencontres et de séminaires pour la jeunesse. Mais son chemin va croiser celui de Georges Legeais, un ancien bagnard qui a tenté de suicider. Il lui dit : «Je n'ai rien à te donner, mais, puisque tu n'as rien à perdre, donne-moi ton aide pour aider les autres.» Ainsi naît la première communauté Emmaüs en 1949, dont Georges Legeais sera le premier compagnon. Puis arrivent d'autres personnes démunies. «Des hommes seuls, d'abord. Ensuite, des familles avec des enfants viennent lui demander à être hébergées», raconte Alain Raillard, ancien délégué général de l'association Emmaüs. La maison de Neuilly-Plaisance devient trop petite. Mal-logés et compagnons se mettent à monter des campements. Généralement sans autorisation. Incapables de juguler une crise du logement patente, les autorités ferment les yeux. Pas pour longtemps. L'appel du 1er février va les contraindre à agir.
 
Le résistant
Henri Grouès est devenu «l'abbé Pierre» dans la Résistance. Il y est entré «lors de la rafle des Juifs de Grenoble, le 26 août 1942», raconte Jean-Claude Duclos, conservateur du musée de la Résistance de l'Isère. A 30 ans, l'abbé Grouès était vicaire de la cathédrale ; il «héberge des Juifs, leur fournit des faux papiers et les aide à fuir vers la Suisse» . Philippe Falcone, auteur de l'Abbé Pierre, la construction d'une légende (Golias, 2004), conteste cette date et situe son entrée en Résistance quelques mois plus tard. Toujours est-il qu'en novembre 1942, la filière d'évasion de l'abbé lui permet de faire passer en Suisse le plus jeune frère du général de Gaulle, Jacques, qu'il doit porter dans ses bras, parce qu'il est entièrement paralysé.
Lors de la création du STO (le Service du travail obligatoire), il incite les jeunes à y être réfractaires et organise leur accueil dans le massif de la Chartreuse. C'est là que naît le maquis Palace, qui est ensuite déplacé dans le Vercors. L'abbé Pierre, qui reste à Grenoble, ne combat pas les armes à la main. Il réalise un journal clandestin et fabrique des faux papiers. Une partie des jeunes de son maquis rejoint les combattants du Vercors durant l'été 1944. Mais, à cette date, l'abbé Pierre a déjà quitté la région. Repéré par les Allemands, il a dû fuir en janvier 1944. Au terme d'un long périple passant par l'Espagne, il gagne Alger, où il rencontre le général de Gaulle, le 17 juin 1944. Plus tard, celui-ci sera l'un des tout premiers donateurs d'Emmaüs. S'il conserva son nom de guerre, Henri Grouès eut également d'autres pseudonymes, comme «Georges Houdin» et même... «Harry Barlow».
 
Le député
Comme de nombreux résistants, l'abbé Pierre s'engage en politique à la Libération. Il rejoint les rangs du nouveau Mouvement républicain populaire (MRP). Ce parti incarne le catholicisme social et la démocratie chrétienne. Il est le lointain ancêtre de l'UDF actuelle. Henri Grouès est élu en Meurthe-et-Moselle, d'abord dans les Assemblées constituantes, puis, en 1946, dans la première Assemblée nationale de la IVe République. «Je n'ai pas été un bon député, confiera-t-il plus tard. Incompétent, peu diplomate et sans le moindre sens politique.» Le député Grouès est plus à gauche que le MRP qui, au fil des mois, évolue vers la droite. L'abbé Pierre s'oppose à l'allégement des peines contre les mineurs condamnés pour collaboration et défend les objecteurs de conscience. Opposé à l'adhésion de la France à l'Otan, ce pacifiste condamne également la politique coloniale en Indochine. La rupture survient en mai 1950, quand une manifestation ouvrière est sévèrement réprimée à Brest, alors que le MRP participe au gouvernement. L'abbé Pierre démissionne du MRP, mais continue de siéger sous l'étiquette de la «Gauche indépendante et neutraliste». A nouveau candidat en 1951, il est battu et abandonne définitivement sa carrière politique pour se lancer dans l'aventure d'Emmaüs.
 
L'homme d'Eglise
Rien à voir avec mère Teresa, icône absolue, dont la canonisation est à l'étude. Pour l'Eglise catholique, l'abbé Pierre est certes une incarnation idéale du prêtre catholique : «Celui qui remet du lien dans la société à partir du message évangélique, et donne témoignage de l'utilité sociale de l'Eglise dans une société sécularisée», comme le résume le chercheur Philippe Portier. En même temps, Henri Grouès, de son vrai nom, a causé à deux reprises au moins quelques soucis à l'Eglise. D'abord, en soutenant son ami, le révisionniste Roger Garaudy. Ensuite, en contestant l'institution. Dans son dernier ouvrage, Mon Dieu... pourquoi ? (Plon), l'abbé Pierre se dit ainsi convaincu «qu'il est nécessaire qu'existent dans l'Eglise des prêtres mariés et des prêtres célibataires», ajoutant que l'hypothèse d'un Jésus marié avec Marie-Madeleine «ne trouble nullement [sa] foi». Il relève même que les opposants à l'ordination des femmes n'ont «jamais avancé aucun argument théologique décisif qui démontre que l'accès des femmes au sacerdoce serait contraire à la foi» . Pour autant, l'abbé Pierre n'est pas un moderniste.
 
Encore moins un gauchiste.
Né dans une bourgeoisie lyonnaise très imprégnée de catholicisme social, il fait un court passage chez les Capucins. Point commun entre ces deux mouvements, une théologie du servir, du don total aux autres, du dénuement. Quelques années de prêtrise. Puis la création, à partir de 1947, des premières communautés Emmaüs au service d'une autre ambition du catholicisme social : transformer la société «non pas par la politique, source de grande déception à cause de sa médiocrité», comme l'explique Philippe Portier, «mais par l'action sociale et par le bas» .
 
La tache antisémite
«Pour nous, cela reste une zone d'ombre, un élément douloureux...» Dix ans après, Richard Prasquier, chargé des relations judéo-chrétiennes au sein du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), n'a pas oublié. Le soutien d'abord inconditionnel de l'abbé Pierre aux thèses négationnistes de l'écrivain Roger Garaudy, puis ses excuses embarrassées. Fin 1995, Garaudy publie, aux éditions de la Vieille Taupe, un ouvrage intitulé les Mythes fondateurs de la politique israélienne, dans lequel il conteste «le mythe des six millions de juifs exterminés» et la qualification de «génocide» qui en a été faite. Stupéfaction, l'abbé Pierre apporte son soutien à Garaudy, dont il est l'ami. Dans une interview à Libération du 29 avril 1996, il s'enferre, affirmant que toutes les chambres à gaz projetées par les nazis n'ont pas été construites et s'insurgeant contre tous ceux qui déclarent «d'une manière absolument dogmatique que [la Shoah] est un sujet sacré et que toute recherche historique ­ comme on pourrait chercher à mieux comprendre l'Inquisition ou les croisades ­ n'est pas nécessaire». Propulsé sur le devant de la scène politique et médiatique, l'abbé Pierre persiste et signe, dénonçant dans le Corriere della Serra ces médias sous la pression du «lobby sioniste international» . En juillet, il demande finalement que son nom ne soit plus associé à l'ouvrage de Garaudy. «Ma confiance en ta sincérité reste totale», écrit-il toutefois à son ami.
Pour le chercheur Philippe Portier, le catholicisme social, courant dont est issu l'abbé Pierre, comporte une composante «antijudaïque», les Juifs, peuple déicide, étant assimilés de surcroît aux puissances de l'argent. Cette prise de position de l'abbé Pierre pourrait contrarier une éventuelle future béatification et, a fortiori, une canonisation. Depuis Vatican II, l'Eglise catholique s'est fixée en effet pour objectif la réconciliation avec le peuple juif.
 
L'homme
L'abbé avait couché. Il l'a confié dans son dernier livre (1) : «J'ai donc connu l'expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction.» Lui qui avait fait voeu de chasteté expliquait : «Cela n'enlève rien à la force du désir, il m'est arrivé d'y céder de manière passagère. Mais je n'ai jamais eu de liaison régulière.» Dans le même livre, il s'exprimait de façon assez ouverte sur le mariage homo : «Je comprends le désir sincère de nombreux couples homosexuels, qui ont souvent vécu leur amour dans l'exclusion et la clandestinité, de faire reconnaître celui-ci par la société.» Il proposait d' «utiliser le mot d'"alliance"» à la place de «mariage» . Avec quelques réserves, il n'excluait pas l'adoption par deux hommes ou deux femmes : «On sait tous qu'un modèle parental classique n'est pas nécessairement gage de bonheur et d'équilibre pour l'enfant.» Sur les mœurs, l'abbé Pierre, qui refusait de condamner le recours à l'avortement ou l'usage de la pilule, a souvent été opposé au pape en exercice. Le 1er décembre 1992, lors de la journée de lutte contre le sida par exemple, il avait demandé de ne pas «ajouter à la faute le crime de dédaigner les moyens préservatifs» .
(1) Mon Dieu... pourquoi ? , paru en 2005. Entretien avec Frédéric Lenoir, directeur du Monde des religions. 
 
Le faiseur de lois
L'abbé Pierre laisse un héritage législatif conséquent, mais paradoxal. Car ce n'est pas lors de son passage à l'Assemblée qu'il l'a forgé, mais une fois dehors. De l'appel de 1954 aux 20 % de HLM prévus par la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) de 2000, il a usé de son influence pour fonder le droit au logement, ou pour le défendre. En 1954, quatre millions de logements manquent. 90 % de ceux qui existent n'ont ni douche ni baignoire, 73 % pas de toilettes intérieures. L'appel de l'abbé Pierre signe la fin des politiques hésitantes : Mendès France double les prêts consacrés à la construction de logements sociaux, des textes ultérieurs facilitent l'expropriation pour construire (1957) ou créent les célèbres ZUP, les zones à urbaniser en priorité (1958). Entre 1954 et 1977, six millions de logements sont bâtis. On les critique aujourd'hui. Mais, souligne Jean-Paul Flamand dans son histoire du logement social, Loger le peuple (La Découverte), «quelque jugement que l'on puisse porter par ailleurs sur la qualité de ces logements», il faut reconnaître «l'importance de l'effort accompli» .
Quand réapparaissent les signes d'une seconde crise du logement, à la fin des années 80, l'abbé Pierre est à nouveau présent dans ce même rôle d'inspirateur. Louis Besson, ministre socialiste qui signa la loi de 1990 sur le droit au logement, se rappelle que l'abbé avait écrit aux députés quand deux dispositions étaient menacées lors du débat. Le texte devait beaucoup aux propositions des associations, et le prêtre insistait sur cette origine collective. «Il soulignait que ceux qui étaient sur le terrain suggéraient les pistes et que lui les cautionnait», raconte le ministre. La création du Haut Comité pour le logement des plus défavorisés est aussi à mettre à son crédit. «C'est vraiment lui qui a voulu cette instance», souligne Louis Besson. Qui ajoute : «Il n'en a jamais été membre, mais il ne serait jamais venu à l'esprit de qui que ce soit de ne pas l'associer au rapport et à sa présentation.» A son actif également, insiste le ministre, «un certain nombre de renforcements de la loi de 1990» . Ainsi qu'un rôle de bouclier.
Deux fois au cours de cette législature, l'abbé Pierre a défendu l'article 55 de la SRU, qui oblige les communes à avoir 20 % de logements sociaux. En 2006, un amendement déposé par l'UMP Patrick Ollier menace de détricoter cette mesure. L'abbé «voit rouge, rapporte Louis Besson. Il vient à l'Assemblée en fauteuil. Il y a mis tout son poids, y compris physique, pas seulement moral» . Celui qui criait en 1954 «Mes amis, au secours...» a, bien des fois, secouru la loi.
 
L'homme médiatique
En se rendant dans les locaux parisiens de Radio Luxembourg, en cette journée glaciale de février 1954, l'abbé Pierre savait-il qu'il allait réussir un des premiers «coups» médiatiques ? Il n'avait pas choisi au hasard la station de la rue Bayard : en France, Radio Luxembourg est alors le «poste» le plus écouté (lire le témoignage de Roger Kreicher en page 21). Et, à cette époque, la radio émerge comme un média puissant. En matière de «coups», il y a eu quelques précédents : Orson Welles et sa Guerre des mondes en 1938 sur CBS, le général de Gaulle et son appel du 18 juin 1940 sur les ondes de la BBC. Mais le cri d'alarme de l'abbé sur Radio Luxembourg ­ «Mes amis, au secours...» ­ est le véritable ancêtre d'un genre audiovisuel nouveau : l'émission caritative. Ce «coup» rapportera 500 millions de francs de l'époque. Le Téléthon, les Enfoirés, l'opération Pièces jaunes en sont les rejetons modernes et télévisuels. Mais les héritiers les plus directs de l'abbé sont certainement les Enfants de Don Quichotte : même engagement en faveur des sans-abri jouant des mêmes ressorts médiatiques.
 
Sa petite entreprise
Communautés d'Emmaüs, Société anonyme de HLM, Fondation Abbé Pierre, association Emmaüs, Confédération générale du logement, entreprises d'insertion... L'action de l'abbé Pierre a généré une multitude de structures. Les plus connues sont les communautés fondées sur le principe de l'économie solidaire et du refus de l'assistanat. Les ressources proviennent exclusivement du travail de récupération de meubles et de vêtements, qui sont ensuite revendus. L'argent sert à faire vivre la communauté, les compagnons percevant environ 45 euros par semaine. Il existe 120 communautés et 4 000 compagnons. La galaxie abbé Pierre, c'est aussi une société anonyme de HLM (Emmaüs-Habitat) qui compte 12 373 logements, concentrés pour l'essentiel dans les huit départements franciliens. L'actionnariat est très dispersé, mais le pouvoir est entre les mains de personnes morales, comme la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et Emmaüs international. La Fondation Abbé Pierre finance des actions en faveur des personnes défavorisées dans les domaines du logement, de l'insertion ou de la culture. 90 % de ses recettes proviennent de legs et de dons.
Autre organisme, la Confédération générale du logement (CGL). Fondée en 1957, c'est l'une des principales associations de locataires, émanation directe des Comités d'aide aux sans-logis créés après l'appel de 1954. L'association Emmaüs gère, elle, 47 structures d'accueil et d'aide à la réinsertion de personnes ou de familles à la rue (centres d'hébergement d'urgence, hôtels sociaux...).
Enfin, le secteur de la réinsertion par l'économie compte de nombreuses structures, dont la principale est le Relais. Il s'agit d'une entreprise du secteur concurrentiel : 80 % de l'activité consiste à récupérer et trier des vêtements. Le Relais emploie un millier de personnes, dont un tiers en contrats aidés dans une quinzaine d'entreprises réparties dans toute la France. Son chiffre d'affaires annuel est de l'ordre de 20 millions d'euros.
 
Ses héritiers
Droit au logement, Comité des sans-logis, Jeudi noir pour le logement et, plus récemment, les Enfants de Don Quichotte. L'abbé Pierre a montré l'exemple et suscité des vocations. «Le point commun qu'on a avec l'abbé Pierre, c'est la colère contre la pauvreté, le mal-logement et l'inaction du politique» , explique Manuel Domergue, porte-parole du collectif Jeudi noir pour le logement. «L'abbé Pierre, qui avait été député, s'est rendu compte que la règle du jeu institutionnel classique ne permet pas de faire bouger les choses, poursuit-il. Il s'est donc placé en dehors des institutions pour mieux les influencer, en organisant des actions de terrain.» Pour autant, la filiation s'arrête là. «Nous n'avons pas de Jésus pour nous guider, nous sommes un collectif», conclut Manuel Domergue.
Jean-Baptiste Eyraud, le président du DAL, reconnaît que son mouvement s'est inspiré de l'abbé Pierre : «Il a su mobiliser les exclus, leur rendre confiance et mener avec eux des combats pour faire bouger les politiques. On a appris tout ça de lui.» Il ajoute que les occupations d'immeubles et les campements ont toujours un double objectif : «Il s'agit d'aider des gens sans logement, mais aussi de mettre en exergue des situations inacceptables.» Bref, de sonner le tocsin à bon escient pour attirer les médias, comme savait aussi le faire l'abbé Pierre. Au-delà du terrain, l'apport de l'abbé demeure avant tout politique. «Il a ouvert les consciences. La société française est plus réceptive aux mouvements des exclus. S'il n'y avait pas eu l'abbé Pierre, peut-être aurait-on été davantage réprimés», glisse Eyraud. Le président du DAL se souvient de la confidence que lui avait faite en décembre 1994 un membre du cabinet d'Edouard Balladur, alors Premier ministre, durant l'occupation de l'immeuble de la rue du Dragon, à Paris : «Le problème avec vous, c'est que vous êtes populaires même dans le XVIe arrondissement...» Eyraud se remémore aussi d'un conseil de l'abbé Pierre : «Ce n'est pas les politiques qui comptent. C'est ceux qui les élisent. C'est à eux qu'il faut parler.» 
Une leçon appliquée à la règle par les Enfants de Don Quichotte, dont le campement visait justement à soulever «l'indignation citoyenne» pour arracher au gouvernement des mesures en faveur du logement et des sans-abri.
 
Par Catherine COROLLER, Olivier COSTEMALLE, Jean-Dominique MERCHET, Charlotte ROTMAN, Tonino SERAFINI

QUOTIDIEN : mardi 23 janvier 2007 - http://www.liberation.fr/actualite/societe/

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ANNEXES A CONSULTER

 

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