VINGT-CINQUIÈME LETTRE. SUR LES
PENSÉES DE M. PASCAL.
Je vous envoie
les remarques critiques que j'ai faites depuis longtemps sur
les Pensées de M. Pascal. Ne me comparez point ici,
je vous prie, à Ézéchias, qui voulut
faire brûler tous les livres de Salomon. Je respecte
le génie et l'éloquence de Pascal ; mais plus
je les respecte, plus je suis persuadé qu'il aurait
lui-même corrigé beaucoup de ces
Pensées, qu'il avait jetées au hasard sur le
papier, pour les examiner ensuite : et c'est en admirant son
génie que je combats quelques-unes de ses
idées.
Il me paraît qu'en
général l'esprit dans lequel M. Pascal
écrivit ces Pensées était de montrer
l'homme dans un jour odieux. Il s'acharne à nous
peindre tous méchants et malheureux. Il écrit
contre la nature humaine à peu près comme il
écrivait contre les jésuites. Il impute
à l'essence de notre nature ce qui qu'à
certains hommes. Il dit éloquemment des injures au
genre humain. J'ose prendre le parti de l'humanité
contre ce misanthropes sublime ; j'ose assurer que nous ne
sommes ni si méchants ni si malheureux qu'il le dit ;
je suis, de plus, très persuadé que, s'il
avait suivi, dans le livre qu'il méditait, le dessein
qui paraît dans ses Pensées, il aurait fait un
livre plein de paralogismes éloquents et de
faussetés admirablement déduites. Je crois
même que tous ces livres qu'on a faits depuis peu pour
prouver la religion chrétienne, sont plus capables de
scandaliser que d'édifier. Ces auteurs
prétendent-ils en savoir plus que Jésus-Christ
et les Apôtres ? C'est vouloir soutenir un chêne
en 1'entourant de roseaux ; on peut écarter ces
roseaux inutiles sans craindre de faire tort à
l'arbre.
J'ai choisi avec
discrétion quelques pensées de Pascal ; je
mets les réponses au bas. C'est à vous
à juger si j'ai tort ou raison.
I. « Les grandeurs
et les misères de l'homme sont tellement visibles
qu'il faut nécessairement que la vraie religion nous
enseigne qu'il y a en lui quelque grand principe de
grandeur, et en même temps quelque grand principe de
misère. Car il faut que la véritable religion
connaisse à fond notre nature, qu'elle connaisse tout
ce qu'elle a de grand et tout ce qu'elle a de
misérable, et la raison de l'un et de l'autre. Il
faut encore qu'elle nous rende raison des étonnantes
contrariétés qui s'y rencontrent.
Cette manière de
raisonner paraît fausse et dangereuse : car la fable
de Prométhée et de Pandore, les androgynes de
Platon et les dogmes des Siamois rendraient aussi bien
raison de ces contrariétés apparentes. La
religion chrétienne n'en demeurera pas moins vraie,
quand même on n'en tirerait pas ces
ingénieuses, qui ne peuvent servir qu'à faire
briller l'esprit.
Le christianisme
n'enseigne que la simplicité, l'humanité, la
charité ; vouloir le réduire à la
métaphysique, c'est en faire une source d'erreurs.
II. « Qu'on examine
sur cela toutes les religions du monde, et qu'on voie s'il y
en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.
Sera-ce celle qu'enseignaient les philosophes qui nous
proposent pour tout bien un bien qui est en nous ? Est-ce le
vrai bien ? Ont-ils trouvé le remède à
nos maux ? Est-ce avoir guéri la présomption
de l'homme que de l'avoir égalé à Dieu
? Et ceux qui nous ont égalés aux bêtes
et qui nous ont donné des plaisirs de la terre pour
tout bien, ont-ils apporté le remède à
nos concupiscences ?
Les philosophes n'ont
point enseigné de religion ; ce n'est pas leur
philosophie qu'il s'agit de combattre. Jamais philosophe ne
s'est dit inspiré de Dieu, car dès lors il
eût cessé d'être philosophe, et il
eût fait le Il ne s'agit pas de savoir si
Jésus-Christ doit l'emporter sur Aristote ; il s'agit
de prouver que la religion de Jésus-Christ est la
véritable, et que celles de Mahomet, des païens
et toutes les autres sont fausses.
III. « Et cependant
sans ce mystère, le plus incompréhensible de
tous, nous sommes incompréhensibles à
nous-mêmes. Le noeud de notre condition prend ses
retours et ses plis dans l'abîme du
péché originel, de sorte que l'homme est plus
inconcevable sans ce mystère que ce mystère
n'est inconcevable à l'homme.
Est-ce raisonner que de
dire : L'homme est inconcevable sans ce mystère
inconcevable. Pourquoi vouloir aller plus loin que
l'Écriture ? N'y a-t-il pas de la
témérité à croire qu'elle a
besoin d'appui, et que ces idées philosophiques
peuvent lui en donner ?
Qu'aurait répondu
M. Pascal à un homme qui lui aurait dit : « Je
sais que le mystère du péché originel
est l'objet de ma foi et non de ma raison. Je conçois
fort bien sans mystère ce que c'est que l'homme ; je
vois qu'il vient au monde comme les autres animaux ; que
l'accouchement des mères est plus douloureux à
mesure qu'elles sont plus délicates ; que quelquefois
des femmes et des animaux femelles meurent dans
l'enfantement ; qu'il y a quelquefois des enfants mal
organisés qui vivent privés d'un ou deux sens
et de la faculté du raisonnement ; que ceux qui sont
le mieux organisés sont ceux qui ont les passions les
plus vives ; que l'amour de soi-même est égal
chez tous les hommes, et qu'il leur est aussi
nécessaire que les cinq sens ; que cet amour-propre
nous est donné de Dieu pour la conservation de notre
être, et qu'il nous a donné la religion pour
régler cet amour-propre ; que nos idées sont
justes ou inconséquentes, obscures ou lumineuses,
selon que nos organes sont plus ou moins solides, plus ou
moins et selon que nous sommes plus ou moins
passionnés ; que nous dépendons en tout de
l'air qui nous environne, des aliments que nous prenons, et
que, dans tout cela, il n'y a rien de contradictoire.
L'homme n'est point une énigme, comme vous vous le
figurez, pour avoir le plaisir de la deviner. L'homme
paraît être à sa place dans la nature,
supérieur aux animaux, auxquels il est semblable par
les organes, inférieur à d'autres êtres,
auxquels il ressemble probablement par la pensée. Il
est, comme tout ce que nous voyons, mêlé de mal
et de bien, de plaisir et de peine. Il est pourvu de
passions pour agir, et de raison pour gouverner ses actions.
Si l'homme était parfait, il serait Dieu, et ces
prétendues contrariétés, que vous
appelez contradictions, sont les ingrédients
nécessaires qui entrent dans le composé de
l'homme, qui est ce qu'il doit être.
IV. « Suivons nos
mouvements, observons-nous nous-mêmes, et voyons si
nous n'y trouverons pas les caractères vivants de ces
deux natures.
« Tant de
contradictions se trouveraient-elles dans un sujet
simple?
« Cette
duplicité de l'homme est si visible qu'il y en a qui
ont pensé que nous avions deux âmes, un sujet
simple leur paraissant incapable de telles et si soudaines
variétés, d'une présomption
démesurée à un horrible abattement de
cour.
Nos diverses
volontés ne sont point des contradictions dans la
nature, et l'homme n'est point un sujet simple. Il est
composé d'un nombre innombrable d'organes : si un
seul de ces organes est un peu altéré, il est
nécessaire qu'il change toutes les impressions du
cerveau, et que l'animal ait de nouvelles pensées et
de nouvelles volontés. Il est très vrai que
nous sommes tantôt abattus de tristesse, tantôt
enflés de présomption : et cela doit
être quand nous nous trouvons dans des situations
opposées. Un animal que son maître caresse et
nourrit, et un autre qu'on égorge lentement et avec
adresse pour en faire une dissection, éprouvent des
sentiments bien contraires : aussi faisons-nous ; et les
différences qui sont en nous sont si peu
contradictoires qu'il serait contradictoire qu'elles
n'existassent pas.
Les fous qui ont dit que
nous avions deux âmes pouvaient par la même
raison nous en donner trente ou quarante ; car un homme,
dans une grande passion, a souvent trente ou quarante
idées différentes de la même chose, et
doit nécessairement les avoir, selon que cet objet
lui paraît sous différentes faces.
Cette prétendue
duplicité de l'homme est une idée aussi
absurde que métaphysique. J'aimerais autant dire que
le chien qui mord et qui caresse est double ; que la poule,
qui a tant soin de ses petits, et qui ensuite les abandonne
jusqu'à les méconnaître, est double ;
que la glace, qui représente à la fois des
objets différents, est double ; que l'arbre, qui est
tantôt chargé, tantôt
dépouillé de feuilles, est double. J'avoue que
l'homme est inconcevable ; mais tout le reste de la nature
l'est aussi, et il n'y a pas plus de apparentes dans l'homme
que dans tout le reste.
V. « Ne parier
point que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas. Lequel
prendrez-vous donc ? Pesons le gain et la perte, en prenant
le parti de croire que Dieu est. Si vous gagnez, vous gagnez
tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Pariez donc
qu'il est, sans hésiter. —— Oui, il faut gager ; mais
je gage peut-être trop. —— Voyons, puisqu'il y a
pareil hasard de gain et de perte, quand vous n'auriez que
deux vies à gagner pour une, vous pourriez encore
gager.
Il est évidemment
faux de dire : « Ne point parier que Dieu est, c'est
parier qu'il n'est pas ; car celui qui doute et demande
à s'éclairer ne parie assurément ni
pour ni contre.
D'ailleurs cet article
paraît un peu indécent et puéril ; cette
idée de jeu, de perte et de gain, ne convient point
à la gravité du sujet.
De plus,
l'intérêt que j'ai à croire une chose
n'est pas une preuve de l'existence de cette chose. Je vous
donnerai, me dites-vous, l'empire du monde, si je crois que
vous avez raison. Je souhaite alors de tout mon coeur que
vous ayez raison ; mais, jusqu'à ce que vous me
l'ayez prouvé, je ne puis vous croire.
Commencez, pourrait-on
dire à M. Pascal, par convaincre ma raison. J'ai
intérêt, sans doute, qu'il y ait un Dieu ; mais
si, dans votre système, Dieu n'est venu que pour si
peu de personnes ; si le petit nombre des élus est si
effrayant ; si je ne puis rien du tout par moi-même,
dites-moi, je vous prie, quel intérêt j'ai
à vous croire ? N'ai-je pas un intérêt
visible à être persuadé du contraire ?
De quel front osez-vous me montrer un bonheur infini,
auquel, d'un million d'hommes, à peine un seul a
droit d'aspirer ? Si vous me convaincre, prenez-vous-y d'une
autre façon, et n'allez pas tantôt me parler de
jeu de hasard, de pari, de croix et de pile, et tantôt
m'effrayer par les épines que vous semez sur le
chemin que je veux et que je dois suivre. Votre raisonnement
ne servirait qu'à faire des athées, si la voix
de toute la nature nous criait qu'il y a un Dieu, avec
autant de force que ces subtilités ont de
faiblesse.
VI. « En voyant
l'aveuglement et la misère de l'homme, et ces
contrariétés étonnantes qui se
découvrent dans sa nature, et regardant tout
l'univers muet, et l'homme sans lumière,
abandonné à lui-même, et comme
égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir
qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il y en
mourant, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait
emporté endormi dans une île déserte et
effroyable, et qui s'éveillerait sans connaître
où il est et sans avoir aucun moyen d'en sortir ; et
sur cela j'admire comment on n'entre pas en désespoir
d'un si misérable état.
En lisant cette
réflexion, je reçois une lettre d'un de mes
amis, qui demeure dans un pays fort éloigné.
Voici ses paroles :
« Je suis ici comme
vous m'y avez laissé, ni plus gai, ni plus triste, ni
plus riche, ni plus pauvre, jouissant d'une santé
parfaite, ayant tout ce qui rend la vie agréable,
sans amour, sans avarice, sans ambition et sans envie ; et
tant que tout cela durera, je m'appellerai hardiment un
homme très heureux.
Il y a beaucoup d'hommes
aussi heureux que lui. Il en est des hommes comme des
animaux ; tel chien couche et mange avec sa maîtresse
; tel autre tourne la broche et est tout aussi content ; tel
autre devient enragé, et on le tue. Pour moi, quand
je regarde Paris ou Londres, je ne vois aucune raison pour
entrer ce désespoir dont parle M. Pascal ; je vois
une ville qui ne ressemble en rien à une île
déserte, mais peuplée, opulente,
policée, et où les hommes sont heureux autant
que la nature humaine le comporte. Quel est l'homme sage qui
sera prêt à se pendre parce qu'il ne sait pas
comme on voit Dieu face à face, que sa raison ne peut
débrouiller le mystère de la Trinité ?
Il faudrait autant se désespérer de n'avoir
pas quatre pieds et deux ailes.
Pourquoi nous faire
horreur de notre être ? Notre existence n'est point si
malheureuse qu'on veut nous le faire accroire. Regarder
l'univers comme un cachot, et tous les hommes comme des
criminels qu'on va exécuter, est l'idée d'un
fanatique. Croire que le monde est un lieu de délices
où l'on ne doit avoir que du plaisir, c'est la
rêverie d'un sybarite. Penser que la terre, les hommes
et les animaux sont ce qu'ils doivent être dans
l'ordre de la Providence, est, je crois, d'un homme
sage.
VII. « (Les juifs
pensent) que Dieu ne laissera pas éternellement les
autres peuples dans ces ténèbres ; qu'il
viendra un libérateur pour tous ; qu'ils sont au
monde pour l'annoncer ; qu'ils sont formés
exprès pour être les hérauts de ce grand
événement, et pour appeler tous les peuples
à s'unir à eux dans de ce
libérateur.
Les juifs ont toujours
attendu un libérateur ; mais leur libérateur
est pour eux et non pour nous. Ils attendent un messie qui
rendra les juifs maîtres des chrétiens ; et
nous espérons que le Messie réunira un jour
les juifs aux chrétiens : ils pensent
précisément sur cela le contraire de ce que
nous pensons.
VIII. « La loi par
laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la
plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule
qui ait toujours été gardée sans
interruption dans un état. C'est ce que Philon, juif,
montre en divers lieux, et Josèphe admirablement
contre Appion, où il fait voir qu'elle est si
ancienne que le nom même de loi n'a été
connu des plus anciens que plus de mille ans après,
en sorte qu'Homère, qui a parlé de tant de
peuples, ne s'en est jamais servi. Et il est aisé de
juger de la perfection de cette loi par sa simple lecture,
où l'on voit qu'on y a pourvu à toutes choses
avec tant de sagesse, tant d'équité, tant de
jugement, que les plus anciens législateurs grecs et
romains en ayant quelque lumière en ont
emprunté leurs principales lois : ce qui paraît
par celles qu'ils appellent des douze Tables, et par les
autres preuves que Josèphe en donne.
Il est très faux
que la loi des juifs soit la plus ancienne, puisque avant
Moïse, leur législateur, ils demeuraient en
Égypte, le pays de la terre le plus renommé
pour ses sages lois.
Il est très faux
que le nom de loi n'ait été connu
qu'après Homère ; il parle des lois de Minos ;
le mot de loi est dans Hésiode. Et quand le nom de
loi ne se trouverait ni dans Hésiode ni dans
Homère, cela ne prouverait rien. Il y avait des rois
et des juges ; donc il y avait des lois.
Il est encore
très faux que les Grecs et les Romains aient pris des
lois des juifs. Ce ne peut être dans les commencements
de leurs républiques, car alors ils ne pouvaient
connaître les juifs ; ce ne peut être dans le
temps de leur grandeur, car alors ils avaient pour ces
barbares un mépris connu de toute la
terre.
IX. « Ce peuple est
encore admirable en sincérité. Ils gardent
avec amour et fidélité le livre où
Moïse déclare qu'ils ont toujours
été ingrats envers Dieu, et qu'il sait qu'ils
le seront encore plus après sa mort ; mais qu'il
appelle le ciel et la terre à témoin contre
eux, qu'il le leur a assez dit ; qu'enfin Dieu, s'irritant
contre eux, les dispersera par tous les peuples de la terre
; que, comme ils l'ont irrité en adorant des dieux
qui n'étaient point leurs dieux, il les irritera en
appelant un peuple qui n'était point son peuple. ce
livre, qui les déshonore en tant de façons,
ils le conservent aux dépens de leur vie. C'est une
sincérité qui n'a point d'exemple dans le
monde, ni sa racine dans la nature.
Cette
sincérité a partout des exemples, et n'a sa
racine que dans la nature. L'orgueil de chaque juif est
intéressé à croire que ce n'est point
sa détestable politique, son ignorance des arts, sa
grossièreté qui l'a perdu, mais que c'est la
colère de Dieu qui le punit. Il pense avec
satisfaction qu'il a fallu des miracles pour l'abattre, et
que sa nation est toujours la bien-aimée du Dieu qui
la châtie.
Qu'un prédicateur
monte en chaire, et dise aux Français : « Vous
êtes des misérables, qui n'avez ni coeur ni
conduite ; vous avez été battus à
Hochstedt et à Ramillies parce que vous n'avez pas su
vous défendre ; il se fera lapider. Mais s'il dit :
« Vous êtes des catholiques chéris de Dieu
; vos péchés infâmes avaient
irrité l'Éternel, qui vous livra aux
hérétiques à Hochstedt et à
Ramillies ; mais, quand vous êtes revenus au Seigneur,
alors il a béni votre courage à Denain ; ces
paroles le feront aimer de l'auditoire.
X. « S'il y a un
Dieu, il ne faut aimer que lui, et non les
créatures.
Il faut aimer, et
très tendrement, les créatures ; il faut aimer
sa patrie, sa femme, son père, ses enfants ; et il
faut si bien les aimer que Dieu nous les fait aimer
malgré nous. Les principes contraires ne sont propres
qu'à faire de barbares raisonneurs.
XI. « Nous naissons
injustes ; car chacun tend à soi. Cela est contre
tout ordre. Il faut tendre au général ; et la
pente vers soi est le commencement de tout désordre
en guerre, en police, en économie, etc.
Cela est selon tout
ordre. Il est aussi impossible qu'une société
puisse se former et subsister sans amour-propre, qu'il
serait impossible de faire des enfants sans concupiscence,
de songer à se nourrir sans appétit, etc.
C'est l'amour de nous-même qui assiste l'amour des
autres ; c'est par nos besoins mutuels que nous sommes
utiles au genre humain ; c'est le fondement de tout commerce
; c'est l'éternel lien des hommes. Sans lui il n'y
aurait pas eu un art inventé, ni une
société de dix personnes formée. C'est
cet amour-propre, que chaque animal a reçu de la
nature, qui nous avertit de respecter celui des autres. La
loi dirige cet amour-propre, et la religion le perfectionne.
Il est bien vrai que Dieu aurait pu faire des
créatures uniquement attentives au bien d'autrui.
Dans ce cas, les marchands auraient été aux
Indes par charité et le maçon eût
scié de la pierre pour faire plaisir à son
prochain. Mais Dieu a établi les choses autrement.
N'accusons point l'instinct qu'il nous donne, et faisons-en
l'usage qu'il commande.
XII. « (Le sens
caché des prophéties) ne pouvait induire en
erreur, et il n'y avait qu'un peuple aussi charnel que
celui-là qui s'y pût méprendre. Car
quand les biens sont promis en abondance, qui les
empêchait d'entendre les véritables biens,
sinon leur cupidité, qui déterminait ce sens
aux biens de la terre ?
En bonne foi, le peuple
le plus spirituel de la terre l'aurait-il entendu autrement
? Ils étaient esclaves des Romains ; ils attendaient
un libérateur qui les rendrait victorieux et qui
ferait respecter Jérusalem dans tout le monde.
Comment, avec les lumières de leur raison,
pouvaient-ils voir ce vainqueur, ce monarque dans
Jésus pauvre et mis en croix ? Comment pouvaient-ils
entendre, par le nom de leur capitale, une Jérusalem
céleste, eux à qui le Décalogue n'avait
pas seulement parlé de l'immortalité de
l'âme ? un peuple si attaché à sa loi
pouvait-il, sans une lumière supérieure,
reconnaître dans les prophéties, qui
n'étaient pas leur loi, un Dieu caché sous la
figure d'un juif circoncis, qui par sa religion nouvelle a
détruit et rendu abominables la Circoncision et le
Sabbat, fondements sacrés de la loi judaïque ?
Encore une fois, adorons Dieu sans vouloir percer dans
l'obscurité de ses mystères.
XIII. « Le temps du
premier avènement de Jésus-Christ est
prédit. Le temps du second ne l'est point, parce que
le premier devait être caché, au lieu que le
second doit être éclatant et tellement
manifeste que ses ennemis mêmes le
reconnaîtront.
Le temps du second
avènement de Jésus-Christ a été
prédit encore plus clairement que le premier. M.
Pascal avait apparemment oublié que
Jésus-Christ, dans le chapitre XXI de saint Luc, dit
expressément : « Lorsque vous verrez une
armée environner Jérusalem, sachez que la
désolation est proche... Jérusalem
foulée aux pieds, et il y aura des signes dans le
soleil et dans la lune et dans les étoiles ; les
flots de la mer feront un très grand bruit... Les
vertus des cieux seront ébranlées ; et alors
ils verront le fils de l'homme, qui viendra sur une
nuée avec une grande puissance et une grande
majesté.
Ne voilà-t-il pas
le second avènement prédit distinctement ?
Mais, si cela n'est point arrivé encore, ce n'est
point à nous d'oser interroger la
Providence.
XIV. « Le Messie,
selon les juifs charnels, doit être un grand prince
temporel. Selon les chrétiens charnels, il est venu
nous dispenser d'aimer Dieu, et nous donner des sacrements
qui opèrent tout sans nous. Ni l'un ni l'autre n'est
la religion chrétienne ni juive.
Cet article est bien
plutôt un trait de satire qu'une réflexion
chrétienne. On voit que c'est aux jésuites
qu'on en veut ici. Mais en vérité aucun
jésuite a-t-il jamais dit que Jésus-Christ est
venu nous dispenser d'aimer Dieu ? La dispute sur l'amour de
Dieu est une pure dispute de mots, comme la plupart des
querelles scientifiques qui ont causé des haines si
vives et des malheurs si affreux.
Il parait encore un
autre défaut dans cet article. C'est qu'on y suppose
que l'attente d'un messie était un point de religion
chez les juifs. C'était seulement une idée
consolante répandue parmi cette nation. Les juifs
espéraient un libérateur. Mais il ne leur
était pas ordonné d'y croire comme article de
foi. Toute leur religion était renfermée dans
les livres de la loi. Les prophètes n'ont jamais
été regardés par les juifs comme
législateurs.
XV. « Pour examiner
les prophéties, il faut les entendre. Car si l'on
croit qu'elles n'ont qu'un sens, il est sûr que le
Messie ne sera point venu ; mais, si elles ont deux sens, il
est sûr qu'il sera venu en
Jésus-Christ.
La religion
chrétienne est si véritable qu'elle n'a pas
besoin de preuves douteuses. Or, si quelque chose pouvait
ébranler les fondements de cette sainte et
raisonnable religion, c'est ce sentiment de M. Pascal. Il
veut que tout ait deux sens dans l'Écriture ; mais un
homme qui aurait le malheur d'être incrédule
pourrait lui dire : Celui qui donne deux sens à ses
paroles veut tromper les hommes, et cette duplicité
est toujours punie par les lois ; comment donc pouvez-vous,
sans rougir, admettre dans Dieu ce qu'on punit et ce qu'on
déteste dans les hommes ? Que dis-je ? avec quel
mépris et avec quelle indignation ne traitez-vous pas
les oracles des païens, parce qu'ils avaient deux sens
! Ne pourrait-on pas dire plutôt que les
prophéties qui regardent directement
Jésus-Christ n'ont qu'un sens, comme celles de
Daniel, de Michée et autres ? Ne pourrait-on pas
même dire que, quand nous n'aurions aucune
intelligence des prophéties, la religion n'en serait
pas moins prouvée ?
XVI. « La distance
infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment
plus infinie des esprits à la charité ; car
elle est surnaturelle.
Il est à croire
que M. Pascal n'aurait pas employé ce galimatias dans
son ouvrage, s'il avait eu le temps de le faire.
XVII. « Les
faiblesses les plus apparentes sont des forces à ceux
qui prennent bien les choses. Par exemple, les deux
généalogies de saint Mathieu et de saint Luc.
Il est visible que cela n'a pas été fait de
concert.
Les éditeurs des
Pensées de Pascal auraient-ils dû imprimer
cette pensée, dont l'exposition seule est
peut-être capable de faire tort à la religion ?
À quoi bon dire que ces généalogies,
ces points fondamentaux de la religion chrétienne se
contrarient, sans dire en quoi elles peuvent s'accorder ? Il
fallait présenter l'antidote avec le poison. Que
penserait-on d'un avocat qui dirait : « Ma partie se
contredit, mais cette faiblesse est une force, pour ceux qui
savent bien prendre les choses ?
XVIII. « Qu'on ne
nous reproche donc plus le manque de clarté, puisque
nous en faisons profession ; mais que l'on reconnaisse la
vérité de la religion dans l'obscurité
même de la religion, dans le peu de lumière que
nous en avons, et dans l'indifférence que nous avons
de la connaître.
Voilà
d'étranges marques de vérité qu'apporte
Pascal ! Quelles autres marques a donc le mensonge ? Quoi !
il suffirait, pour être cru, de dire : Je suis obscur,
je suis inintelligible ! Il serait bien plus sensé de
ne présenter aux yeux que les lumières de la
foi, au lieu de ces ténèbres
d'érudition.
XIX. « S'il n'y
avait qu'une religion, Dieu serait trop
manifeste.
Quoi ! vous dites que,
s'il n'y avait qu'une religion, Dieu serait trop manifeste !
Eh ! oubliez-vous que vous dites, à chaque page,
qu'un jour il n'y aura qu'une religion ? Selon vous, Dieu
sera donc alors trop manifeste.
XX. « Je dis que la
religion juive ne consistait en aucune de ces choses, mais
seulement en l'amour de Dieu, et que Dieu réprouvait
toutes les autres choses.
Quoi ! Dieu
réprouvait tout ce qu'il ordonnait lui-même
avec tant de soin aux juifs, et dans un détail si
prodigieux ! N'est-il pas plus vrai de dire que la loi de
Moïse consistait et dans l'amour et dans le culte ?
Ramener tout à l'amour de Dieu sent peut-être
moins l'amour de Dieu que la haine que tout
janséniste a pour son prochain moliniste.
XXI. « La chose la
plus importante à la vie, c'est le choix d'un
métier ; le hasard en dispose. La coutume fait les
maçons, les soldats, les couvreurs.
Qui peut donc
déterminer les soldats, les maçons et tous les
ouvriers mécaniques, sinon ce qu'on appelle hasard et
la coutume ? Il n'y a que les arts de génie auxquels
on se détermine de soi-même. Mais, pour les
métiers que tout le monde peut faire, il est
très naturel et très raisonnable que la
coutume en dispose.
XXII. « Que chacun
examine sa pensée ; il la trouvera toujours
occupée au passé et à l'avenir. Nous ne
pensons presque point au présent ; et si nous y
pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour
disposer l'avenir. Le présent n'est jamais notre but
; le passé et le présent sont nos moyens ; le
seul avenir est notre objet.
Il faut, bien loin de se
plaindre, remercier l'auteur de la nature de ce qu'il nous
donne cet instinct qui nous emporte sans cesse vers
l'avenir. Le trésor le plus précieux de
l'homme est cette espérance qui nous adoucit nos
chagrins, et qui nous peint des plaisirs futurs dans la
possession des plaisirs présents. Si les hommes
étaient assez malheureux pour ne s'occuper que du
présent, on ne sèmerait point, on ne
bâtirait point, on ne planterait point, on ne
pourvoirait à rien : on manquerait de tout au milieu
de cette fausse jouissance. Un esprit comme M. Pascal
pouvait-il donner dans un lieu commun aussi faux que
celui-là ? La nature a établi que chaque homme
jouirait du présent en se nourrissant, en faisant des
enfants, en écoutant des sons agréables, en
occupant sa faculté de penser et de sentir, et qu'en
sortant de ces états, souvent au milieu de ces
états même, il penserait au lendemain, sans
quoi il périrait de misère
XXIII. « Mais quand
j'y ai regardé de plus près, j'ai
trouvé que cet éloignement que les hommes ont
du repos, et de demeurer avec eux-mêmes, vient d'une
cause bien effective, c'est-à-dire du malheur naturel
de notre condition faible et mortelle, et si
misérable que rien ne nous peut consoler, lorsque
rien ne nous empêche d'y penser, et que nous ne voyons
que nous.
Ce mot ne voir que nous
ne forme aucun sens.
Qu'est-ce qu'un homme
qui n'agirait point, et qui est supposé se contempler
? Non seulement je dis que cet homme serait un
imbécile, inutile à la société,
mais je dis que cet homme ne peut exister : car que
contemplerait-il ? son corps, ses pieds, ses mains, ses cinq
sens ? Ou il serait un idiot, ou bien il ferait usage de
tout cela. Resterait-il à contempler sa
faculté de penser ? Mais il ne peut contempler cette
faculté qu'en l'exerçant. Ou il ne pensera
à rien, ou bien il pensera aux idées qui lui
sont déjà venues, ou il en composera de
nouvelles : or il ne peut avoir d'idées que du
dehors. Le voilà donc occupé ou de ses sens ou
de ses idées ; le voilà donc hors de soi, ou
imbécile.
Encore une fois, il est
impossible à la nature humaine de rester dans cet
engourdissement imaginaire ; il est absurde de le penser ;
il est insensé d'y prétendre. L'homme est
né pour l'action, comme le feu tend en haut et la
pierre en bas. N'être point occupé et n'exister
pas est la même chose pour l'homme. Toute la
différence consiste dans les occupations douces ou
tumultueuses, dangereuses ou utiles.
XXIV. « Les hommes
ont un instinct secret qui les porte à chercher le
divertissement et l'occupation au dehors, qui vient du
ressentiment de leur misère continuelle ; et ils ont
un autre instinct secret qui reste de la grandeur de leur
première nature, qui leur fait connaître que le
bonheur n'est en effet que dans le repos.
Cet instinct secret
étant le premier principe et le fondement
nécessaire de la société, il vient
plutôt de la bonté de Dieu, et il est
plutôt l'instrument de notre bonheur qu'il n'est
l'instrument de notre misère. Je ne sais pas ce que
nos premiers pères faisaient dans le paradis
terrestre ; mais, si chacun d'eux n'avait pensé
qu'à soi, l'existence du genre humain était
bien hasardée. N'est-il pas absurde de penser qu'ils
avaient des sens parfaits, c'est-à-dire des
instruments d'action parfaits, uniquement pour la
contemplation ? Et n'est-il pas plaisant que des têtes
pensantes puissent imaginer que la paresse est un titre de
grandeur, et l'action, un rabaissement de notre
nature
XXV. « C'est
pourquoi, lorsque Cinéas disait à Pyrrhus, qui
se proposait de jouir du repos avec ses amis après
avoir conquis une grande partie du monde, qu'il ferait mieux
d'avancer lui-même son bonheur en jouissant dès
lors de ce repos, sans l'aller chercher par tant de
fatigues, il lui donnait un conseil qui recevait de grandes
difficultés, et qui n'était guère plus
raisonnable que le dessein de ce jeune ambitieux. L'un et
l'autre supposait que l'homme se pût contenter de
soi-même et de ses biens présents, sans remplir
le vide de son coeur d'espérances imaginaires, ce qui
est faux. Pyrrhus ne pouvait être ni devant ni
après avoir conquis le monde.
L'exemple de
Cinéas est bon dans les satires de Despréaux,
mais non dans un livre philosophique. Un roi sage peut
être heureux chez lui ; et de ce qu'on nous donne
Pyrrhus pour un fou, cela ne conclut rien pour le reste des
hommes.
XXVI. « On doit
reconnaître que l'homme est si malheureux qu'il
s'ennuierait même sans aucune cause
étrangère d'ennui, par le propre état
de sa condition.
Au contraire l'homme est
si heureux en ce point, et nous avons tant d'obligation
à l'auteur de la nature qu'il a attaché
l'ennui à l'inaction, afin de nous forcer par
là à être utiles au prochain et à
nous-même.
XXVII. «
D'où vient que cet homme qui a perdu depuis peu son
fils unique et qui, accablé de procès et de
querelles, était ce matin si troublé, n'y
pense plus maintenant ? Ne vous en étonnez pas, il
est tout occupé à voir par où passera
un cerf que ses chiens poursuivent avec ardeur depuis six
heures. Il n'en faut pas davantage pour l'homme, quelque
plein de tristesse qu'il soit. Si l'on peut gagner sur lui
de refaire entrer en quelque divertissement, le voilà
heureux pendant ce temps-là.
Cet homme fait à
merveille : la dissipation est un remède plus
sûr contre la douleur que le quinquina contre la
fièvre ; ne blâmons point en cela la nature,
qui est toujours prête à nous
secourir.
XXVIII. « Qu'on
s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous
condamnés à la mort, dont les uns étant
chaque jour égorgés à la vue des
autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans
celle de leurs semblables, et, se regardant les uns les
autres avec douleur et sans espérance, attendent leur
tour. C'est l'image de la condition des hommes.
Cette comparaison
assurément n'est pas juste : des malheureux
enchaînés qu'on égorge l'un après
l'autre, sont malheureux, non seulement parce qu'ils
souffrent, mais encore parce qu'ils éprouvent ce que
les autres hommes ne souffrent pas. Le sort naturel d'un
homme n'est ni d'être enchaîné ni
d'être ; mais tous les hommes sont faits, comme les
animaux et les plantes, pour croître, pour vivre un
certain temps, pour produire leur semblable et pour mourir.
On peut dans une satire montrer l'homme tant qu'on voudra du
mauvais côté ; mais, pour peu qu'on se serve de
sa raison, on avouera que de tous les animaux l'homme est le
plus parfait, le plus heureux, et celui qui vit le plus
longtemps. Au lieu donc de nous étonner et de nous
plaindre du malheur et de la brièveté de la
vie, nous devons nous étonner et nous
féliciter de notre bonheur et de sa durée.
À ne raisonner qu'en philosophe, j'ose dire qu'il y a
bien de l'orgueil et de la témérité
à prétendre que par notre nature nous devons
être mieux que nous ne sommes.
XXIX. « Les sages
parmi les païens, qui ont dit qu'il n'y a qu'un Dieu,
ont été persécutés, les juifs
haïs, les chrétiens encore plus.
Ils ont
été quelquefois persécutés, de
même que le serait aujourd'hui un homme qui viendrait
enseigner l'adoration d'un Dieu, indépendante du
culte reçu. Socrate n'a pas été
condamné pour avoir dit : Il n'y a qu'un Dieu, mais
pour s'être élevé contre le culte
extérieur du pays, et pour s'être fait des
ennemis puissants fort mal à propos. À
l'égard des juifs, ils étaient haïs, non
parce qu'ils ne croyaient qu'un Dieu, mais parce qu'ils
haïssaient ridiculement les autres nations, parce que
c'étaient des barbares qui massacraient sans
pitié leurs ennemis vaincus, parce que ce vil peuple,
superstitieux, ignorant, privé des arts, privé
du commerce, méprisait les peuples les plus
policés. Quant aux chrétiens, ils
étaient haïs des païens parce qu'ils
tendaient à abattre la religion et l'empire, dont ils
vinrent enfin à bout, comme les protestants se sont
rendus les maîtres dans les mêmes pays,
où ils furent longtemps haïs, et
massacrés.
XXX. « Les
défauts de Montaigne sont grands. Il est plein de
mots sales et déshonnêtes. Cela ne vaut rien.
Ses sentiments sur l'homicide volontaire et sur la mort sont
horribles.
Montaigne parle en
philosophe, non en chrétien : il dit le pour et le
contre de l'homicide volontaire. Philosophiquement parlant,
quel mal fait à la société un homme qui
la quitte quand il ne peut plus la servir ? Un vieillard a
la pierre et souffre des douleurs insupportables ; on lui
dit : « Si vous ne vous faites tailler, vous allez
mourir ; si l'on vous taille, vous pourrez encore radoter,
baver et traîner pendant un an, à charge
à vous-même et aux autres. Je suppose que le
bonhomme prenne alors le parti de n'être plus à
charge à personne : voilà à peu
près le cas que Montaigne expose.
XXXI. « Combien les
lunettes nous ont-elles découvert d'astres qui
n'étaient point pour nos philosophes d'auparavant ?
On attaquait hardiment l'Écriture sur ce qu'on y
trouve en tant d'endroits du grand nombre des
étoiles. Il n'y en a que mille vingt-deux, disait-on
; nous le savons.
Il est certain que la
Sainte Écriture, en matière de physique, s'est
toujours proportionnée aux idées reçues
; ainsi, elle suppose que la terre est immobile, que le
soleil marche, etc. Ce n'est point du tout par un
raffinement d'astronomie qu'elle dit que les étoiles
sont innombrables, mais pour s'accorder aux idées
vulgaires. En effet, quoique nos yeux ne découvrent
qu'environ mille vingt-deux étoiles, cependant quand
on regarde le ciel fixement, la vue éblouie croit
alors en voir une infinité. L'Écriture parle
donc selon ce préjugé vulgaire, car elle ne
nous a pas été donnée pour faire de
nous des physiciens ; et il y a grande apparence que Dieu ne
révéla ni à Habacuc ni à Baruch,
ni à Michée qu'un jour un Anglais nommé
Flamstead mettrait dans son catalogue plus de sept mille
étoiles aperçues avec le
télescope.
XXXII. « Est-ce
courage à un homme mourant d'aller, dans la faiblesse
et dans l'agonie, affronter un Dieu tout-puissant et
éternel ?
Cela n'est jamais
arrivé ; et ce ne peut être que dans un violent
transport au cerveau qu'un homme dise « Je crois un
Dieu, et je le brave.
XXXIII. « Je crois
volontiers les histoires dont les témoins se font
égorger.
La difficulté
n'est pas seulement de savoir si on croira des
témoins qui meurent pour soutenir leur
déposition, comme ont fait tant de fanatiques, mais
encore si ces témoins sont effectivement morts pour
cela, si on a conservé leurs dépositions,
s'ils ont habité les pays où l'on dit qu'ils
sont morts. Pourquoi Josèphe, né dans les
temps de la mort du Christ, Josèphe ennemi
d'Hérode, Josèphe peu attaché au
judaïsme, n'a-t-il pas dit un mot de tout cela ?
Voilà ce que M. Pascal eût
débrouillé avec succès, comme ont fait
depuis tant d'écrivains éloquents.
XXXIV. « Les
sciences ont deux extrémités qui se touchent.
La première est la pure ignorance naturelle où
se trouvent tous les hommes en naissant ; l'autre
extrémité est celle où arrivent les
grandes âmes, qui ayant parcouru tout ce que les
hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se
rencontrent dans cette ignorance d'où ils
étaient partis.
Cette pensée est
un pur sophisme ; et la fausseté consiste dans ce mot
d'ignorance qu'on prend en deux sens différents.
Celui qui ne sait ni lire ni écrire est un ignorant ;
mais un mathématicien, pour ignorer les principes
cachés de la nature, n'est pas au point d'ignorance
dont il était parti quand il commença à
apprendre à lire. M. Newton ne savait pas pourquoi
l'homme remue son bras quand il le veut ; mais il n'en
était pas moins savant sur le reste. Celui qui ne
sait pas l'hébreu, et qui sait le latin, est savant
par comparaison avec celui qui ne sait que le
français.
XXXV. « Ce n'est
pas être heureux que de pouvoir être
réjoui par le divertissement ; car il vient
d'ailleurs et de dehors ; et ainsi il est dépendant,
et par conséquent sujet à être
troublé par mille accidents qui font les afflictions
inévitables.
Celui-là est
actuellement heureux qui a du plaisir, et ce plaisir ne peut
venir que de dehors. Nous ne pouvons avoir de sensations ni
d'idées que par les objets extérieurs, comme
nous ne pouvons nourrir notre corps qu'en y faisant entrer
des substances étrangères qui se changent en
la nôtre.
XXXVI. «
L'extrême esprit est accusé de folie, comme
l'extrême défaut. Rien ne passe pour bon que la
médiocrité.
Ce n'est point
l'extrême esprit, c'est l'extrême
vivacité et volubilité de l'esprit qu'on
accuse de folie. L'extrême esprit est l'extrême
justesse, l'extrême finesse, l'extrême
étendue, opposée diamétralement
à la folie.
L'extrême
défaut d'esprit est un manque de conception, un vide
d'idées ; ce n'est point la folie, c'est la
stupidité. La folie est un dérangement dans
les organes, qui fait voir plusieurs objets trop vite, ou
qui arrête l'imagination sur un seul avec trop
d'application et de violence. Ce n'est point non plus la qui
passe pour bonne, c'est l'éloignement des deux vices
opposés, c'est ce qu'on appelle juste milieu, et non
médiocrité.
XXXVII. « Si notre
condition était véritablement heureuse, il ne
faudrait pas nous divertir d'y penser.
Notre condition est
précisément de penser aux objets
extérieurs, avec lesquels nous avons un rapport
nécessaire. Il est faux qu'on puisse divertir un
homme de penser à la condition humaine ; car,
à quelque chose qu'il applique son esprit, il
l'applique à quelque chose de lié
nécessairement à la condition humaine ; et
encore une fois, penser à soi avec abstraction des
choses naturelles, c'est ne à rien du tout, qu'on y
prenne bien garde.
Loin d'empêcher un
homme de penser à sa condition, on ne l'entretient
jamais que des agréments de sa condition. On parle
à un savant de réputation et de science ;
à un prince, de ce qui a rapport à sa grandeur
; à tout homme on parle de plaisir.
XXXVIII. « Les
grands et les petits ont mêmes accidents, mêmes
fâcheries et mêmes passions. Mais les uns sont
au haut de la roue, et les autres près du centre, et
ainsi moins agités par les mêmes
mouvements.
Il est faux que les
petits soient moins agités que les grands ; au
contraire, leurs désespoirs sont plus vifs parce
qu'ils ont moins de ressources. De cent personnes qui se
tuent à Londres, il y en a quatre-vingt-dix-neuf du
bas peuple, et à peine une d'une condition
relevée. La comparaison de la roue est
ingénieuse et fausse.
XXXIX. « On
n'apprend pas aux hommes à être honnêtes
gens, et on leur apprend tout le reste ; et cependant ils ne
se piquent de rien tant que de cela. Ainsi ils ne se piquent
de savoir que la seule chose qu'ils n'apprennent
point.
On apprend aux hommes
à être honnêtes gens, et, sans cela, peu
parviendraient à l'être. Laissez votre fils
prendre dans son enfance tout ce qu'il trouvera sous sa
main, à quinze ans il volera sur le grand chemin ;
louez-le d'avoir dit un mensonge, il deviendra faux
témoin ; flattez sa concupiscence, il sera
sûrement débauché. On apprend tout aux
hommes, la vertu, la religion.
XL. « Le sot projet
que Montaigne a eu de se peindre ! Et cela, non pas en
passant et contre ses maximes, comme il arrive à tout
le monde de faillir, mais par ses propres maximes et par un
dessein premier et principal ; car de dire des sottises par
hasard et par faiblesse, c'est un mal ordinaire ; mais d'en
dire à dessein, c'est ce qui n'est pas supportable,
et d'en dire de telles que celle-là.
Le charmant projet que
Montaigne a eu de se peindre naïvement comme il a fait
! Car il a peint la nature humaine ; et le pauvre projet de
Nicole, de Malebranche, de Pascal, de décrier
Montaigne !
XLI. « Lorsque j'ai
considéré d'où vient qu'on ajoute tant
de foi à tant d'imposteurs qui disent qu'ils ont des
remèdes, jusqu'à mettre souvent sa vie entre
leurs mains, il m'a paru que la véritable cause est
qu'il y a de vrais remèdes ; car il ne serait pas
possible qu'il y en eût tant de faux, et qu'on y
donnât tant de créance, s'il n'y en avait de
véritables. Si jamais il n'y en avait eu, et que tous
les maux eussent été incurables, il est
impossible que les hommes se fussent imaginé qu'ils
en pourraient donner, et encore plus, que tant d'autres
eussent donné créance à ceux qui se
fussent vantés d'en avoir. De même que si un
homme se vantait d'empêcher de mourir, personne ne le
croirait, parce qu'il n'y a aucun exemple de cela. Mais,
comme il y a eu quantité de remèdes qui se
sont trouvés véritables par la connaissance
même des plus grands hommes, la créance des
hommes s'est pliée Par là, parce que la chose
ne pouvant être niée en général
(puisqu'il y a des effets particuliers qui sont
véritables), le peuple, qui ne peut pas discerner
lesquels d'entre ces effets particuliers sont les
véritables, les croit tous. De même, ce qui
fait qu'on croit tant de faux effets de la lune, c'est qu'il
y en a de vrais, comme le flux de la mer.
« Ainsi, il me
paraît aussi évidemment qu'il n'y a tant de
faux miracles, de fausses révélations, de
sortilèges, que parce qu'il y en a de
vrais.
Il me semble que la
nature humaine n'a pas besoin du vrai pour tomber dans le
faux. On a imputé mille fausses influences à
la lune avant qu'on imaginât le moindre rapport
véritable avec le flux de la mer. Le premier homme
qui a été malade a cru sans peine le premier
charlatan. Personne n'a vu de loups-garous ni de sorciers,
et beaucoup y ont cru. Personne n'a vu de transmutation de
métaux, et plusieurs ont été
ruinés par la créance de la pierre
philosophale. Les Romains, les Grecs, tous les païens
ne croyaient-ils donc aux faux miracles dont ils
étaient inondés que parce qu'ils en avaient vu
de véritables ?
XLII. « Le port
règle ceux qui sont dans un vaisseau ; mais où
trouverons-nous ce point dans la morale ?
Dans cette seule maxime
reçue de toutes les nations :
« Ne faites pas
à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous
fît.
XLIII. « Ferox gens
nullam esse vitam sine armis putat. Ils aiment mieux la mort
que la paix ; les autres aiment mieux la mort que la guerre.
Toute opinion peut être préférée
à la vie, dont l'amour paraît si fort et si
naturel .
C'est des Catalans que
Tacite a dit cela ; mais il n'y en a point dont on ait dit
et dont on puisse dire : « Elle aime mieux la mort que
la guerre.
XLIV. « À
mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus
d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de
différence entre les hommes.
Il y a très peu
d'hommes vraiment originaux ; presque tous se gouvernent,
pensent et sentent par l'influence de la coutume et de
l'éducation : rien n'est si rare qu'un esprit qui
marche dans une route nouvelle ; mais parmi cette foule
d'hommes qui vont de compagnie, chacun a de petites
différences dans la démarche, que les vues
fines aperçoivent.
XLV. « Il y a donc
deux sortes d'esprit, l'un de pénétrer
vivement et profondément les conséquences des
principes, et c'est là l'esprit de justesse ; l'autre
de comprendre un grand nombre de principes sans les
confondre, et c'est là l'esprit de
géométrie.
L'usage veut, je crois,
aujourd'hui qu'on appelle esprit géométrique
l'esprit méthodique et conséquent.
XLVI. « La mort est
plus aisée à supporter sans y penser, que la
pensée de la mort sans péril.
On ne peut pas dire
qu'un homme supporte la mort aisément ou
malaisément, quand il n'y pense point du tout. Qui ne
sent rien ne supporte rien.
XLVII. « Nous
supposons que tous les hommes conçoivent et sentent
de la même sorte les objets qui se présentent
à eux ; mais nous le supposons bien gratuitement, car
nous n'en avons aucune preuve. Je vois bien qu'on applique
les mêmes mots dans les mêmes occasions, et que
toutes les fois que deux hommes voient, par exemple, de la
neige, ils expriment tous deux la vue de ce même objet
par les mêmes mots, en disant l'un et l'autre qu'elle
est blanche ; et de cette conformité d'application on
tire une puissante conjecture d'une conformité
d'idée ; mais cela n'est pas absolument convaincant,
quoiqu'il y ait lieu à parier pour l'affirmative.
Ce n'était pas la
couleur blanche qu'il fallait apporter en preuve. Le blanc,
qui est un assemblage de tous les rayons, paraît
éclatant à tout le monde, éblouit un
peu à la longue, fait à tous les yeux le
même effet, mais on pourrait dire que peut-être
les autres couleurs ne sont pas aperçues de tous les
yeux de la même manière.
XLVIII. « Tout
notre raisonnement se réduit à céder au
sentiment.
Notre raisonnement se
réduit à céder au sentiment en fait de
goût, non en fait de science.
XLIX. « Ceux qui
jugent d'un ouvrage par règle sont à
l'égard des autres comme ceux qui ont une montre
à l'égard de ceux qui n'en ont point. L'un dit
: « Il y a deux heures que nous sommes ici ; l'autre
dit : « Il n'y a que trois quarts d'heure. Je regarde
ma montre ; je dis à l'un : « Vous vous ennuyez
; et à l'autre « Le temps ne vous dure
guère.
En ouvrages de
goût, en musique, en poésie, en peinture, c'est
le goût qui tient lieu de montre ; et celui qui n'en
juge que par règles en juge mal.
L. « César
était trop vieux, ce me semble, pour s'aller amuser
à conquérir le monde. Cet amusement
était bon à Alexandre ; c'était un
jeune homme qu'il était difficile d'arrêter ;
mais César devait être plus
mûr.
L'on s'imagine
d'ordinaire qu'Alexandre et César sont sortis de chez
eux dans le dessein de conquérir la terre ; ce n'est
point cela : Alexandre succéda à Philippe dans
le généralat de la Grèce, et fut
chargé de la juste entreprise de venger les Grecs des
injures du roi de Perse : il battit l'ennemi commun, et ses
conquêtes jusqu'à l'Inde, parce que le royaume
de Darius s'étendait jusqu'à l'Inde ; de
même que le duc de Marlborough serait venu
jusqu'à Lyon sans le maréchal de Villars.
À l'égard
de César, il était un des premiers de la
République. Il se brouilla avec Pompée, comme
les jansénistes avec les molinistes ; et alors, ce
fut à qui s'exterminerait. Une seule bataille,
où il n'y eut pas dix mille hommes de tués,
décida de tout.
Au reste la
pensée de M. Pascal est peut-être fausse en
tout sens. Il fallait la maturité de César
pour se démêler de tant d'intrigues ; et il est
étonnant qu'Alexandre, à son âge, ait
renoncé au plaisir pour faire une guerre si
pénible.
LI. « C'est une
plaisante chose à considérer, de ce qu'il y a
des gens dans le monde qui, ayant renoncé à
toutes les lois de Dieu et de la nature, s'en sont fait
eux-mêmes auxquelles ils obéissent exactement,
comme par exemple, les voleurs, etc.
Cela est encore plus
utile que plaisant à considérer ; car cela
prouve que nulle société d'hommes ne peut
subsister un seul jour sans règles.
LII. « L'homme
n'est ni ange ni bête : et le malheur veut que qui
veut faire l'ange fait la bête.
Qui veut détruire
les passions, au lieu de les régler, veut faire
l'ange.
LIII. « Un cheval
ne cherche point à se faire admirer de son compagnon
: on voit bien entre eux quelque sorte d'émulation
à la course, mais c'est sans conséquence ;
car, étant à l'étable, le plus pesant
et le plus mai taillé ne cède pas pour cela
son avoine à l'autre. Il n'en est pas de même
parmi les : leur vertu ne se satisfait pas d'elle-même
; et ils ne sont point contents s'ils n'en tirent avantage
contre les autres.
L'homme le plus mal
taillé ne cède pas non plus son pain à
l'autre, mais le plus fort l'enlève au plus faible ;
et chez les animaux et chez les hommes, les gros mangent les
petits.
LIV. « Si l'homme
commençait par s'étudier lui-même, il
verrait combien il est incapable de passer outre. Comment se
pourrait-il faire qu'une partie connût le tout ? Il
aspirera peut-être à connaître au moins
les parties avec lesquelles il a de la proportion. Mais les
parties du monde ont toutes un tel rapport et un tel
enchaînement l'une avec l'autre que je crois
impossible de connaître l'une sans l'autre et sans le
tout.
Il ne faudrait point
détourner l'homme de chercher ce qui lui est utile,
par cette considération qu'il ne peut tout
connaître.
Non possis oculo quantum
contendere Lynceus, Non tamen idcirco contemnas lippus
inungi.
Nous connaissons
beaucoup de vérités ; nous avons trouvé
beaucoup d'inventions utiles. Consolons-nous de ne pas
savoir les rapports qui peuvent être entre une
araignée et l'anneau de Saturne, et continuons
à examiner ce qui est à notre
portée.
LV. « Si la foudre
tombait sur les lieux bas, les poètes et ceux qui ne
savent raisonner que sur les choses de cette nature
manqueraient de preuves.
Une comparaison n'est
preuve ni en poésie ni en prose : elle sert en
poésie d'embellissement, et en prose elle sert
à éclaircir et à rendre les choses plus
sensibles. Les poètes qui ont comparé les
malheurs des grands à la foudre qui frappe les
montagnes feraient des comparaisons contraires, si le
contraire
LVI. « C'est cette
composition d'esprit et de corps qui a fait que presque tous
les philosophes ont confondu les idées des choses, et
attribué aux corps ce qui n'appartient qu'aux
esprits, et aux esprits ce qui ne peut convenir qu'aux
corps.
Si nous savions ce que
c'est qu'esprit, nous pourrions nous plaindre de ce que les
philosophes lui ont attribué ce qui ne lui appartient
pas ; mais nous ne connaissons ni l'esprit ni le corps ;
nous n'avons aucune idée de l'un, et nous n'avons que
des idées très imparfaites de l'autre. Donc
nous ne pouvons quelles sont leurs limites.
LVII. « Comme on
dit beauté poétique, on devrait dire aussi
beauté géométrique et beauté
médicinale. Cependant on ne le dit point ; et la
raison en est qu'on sait bien quel est l'objet de la
géométrie, et quel est l'objet de la
médecine, mais on ne sait pas en quoi consiste
l'agrément qui est l'objet de la poésie. On ne
sait ce que c'est que ce modèle naturel qu'il faut
imiter ; et, à faute de cette connaissance, on a
inventé de certains termes bizarres : siècle
d'or, merveille de nos jours, fatal laurier, bel astre, etc.
; et on appelle ce jargon beauté poétique.
Mais qui s'imaginera une femme vêtue sur ce
modèle, verra une jolie demoiselle toute couverte de
miroirs et de chaînes de laiton.
Cela est très
faux : on ne doit pas dire beauté
géométrique ni beauté
médicinale, parce qu'un théorème et une
purgation n'affectent point les sens agréablement, et
qu'on ne donne le nom de beauté qu'aux choses qui
charment les sens, comme la musique, la peinture,
l'éloquence, la poésie, l'architecture
régulière, etc.
La raison qu'apporte M.
Pascal est tout aussi fausse. On sait très bien en
quoi consiste l'objet de la poésie ; il consiste
à peindre avec force, netteté,
délicatesse et harmonie ; la poésie est
l'éloquence harmonieuse. Il fallait que M. Pascal
eût bien peu de goût pour dire que fatal
laurier, bel astre et sottises sont des beautés
poétiques ; et il fallait que les éditeurs de
ces Pensées fussent des personnes bien peu
versées dans les belles-lettres pour imprimer une
réflexion si indigne de son illustre
auteur.
Je ne vous envoie point
mes autres remarques sur les Pensées_ de M. Pascal,
qui entraîneraient des discussions trop longues. C'est
assez d'avoir cru apercevoir quelques erreurs d'inattention
dans ce grand génie ; c'est une consolation pour un
esprit aussi borné que le mien d'être bien
persuadé que les plus grands hommes se trompent comme
le vulgaire.
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