SAINT-DIE EN 1945

 

SAINT-DIE en ruines 1945

 

Né à Saint-DIE, j’y ai toujours habité.

Par fait de la guerre est de l’occupation, à quinze ans, j’entre en apprentissage dans l’atelier de mon père entrepreneur de serrurerie (dit aujourd’hui métallerie) situé devant le Stade municipal. Le 8 novembre 1944, mon père et moi sommes déportés en Allemagne avec tous les hommes de la ville. A notre retour en avril 1945, la ville est détruite, notre maison et atelier sont brûlés.

Comme pour tous les sinistrés, l’ensemble des terrains, ruines et partie non détruite ne nous appartiennent plus. Tout est à la disposition du Ministère de la reconstruction qui en retour nous doit des dommages de guerre.

La ville se reconstruit en baraques sur le pourtour de la zone détruite. Nous pouvons comme d’autres, aménager nos garages et dépendances pour y loger.

 

Rapidement les Pouvoirs Publics commandent à toutes les entreprises disponibles le déblaiement des ruines. Les sinistrés subissent une deuxième épreuve : tout ce qui reste est détruit, les entreprises démolissent, dynamitent, combles les caves, rasent les clôtures. Si le centre ville ancien est irrécupérable, sont aussi détruits des immeubles qui pourraient être reconstruits : la première destruction, l’Hôtel de Ville avec ses arcades en pierre de taille. Le centre ville doit être nivelé. Les moellons sont empilés, puis sont évacués hors de la ville. Pourquoi ?

Nous comprenons enfin à l’arrivée de Le Corbusier, les pouvoirs publics lui ont-ils préparé dans une petite ville peu connue un terrain d’expérience ?

Il se forme deux associations de défense des sinistrés, une qui regroupe les locataires, une autre : les propriétaires, commerçants, artisans, professions libérales, etc….ce groupe de sinistrés représente, par ses dommages de guerre, le financement de la reconstruction. 

 

J’avais 20 ans, l’avenir de la ville était pour moi mon avenir professionnel, j’ai donc suivi toute son histoire et assisté à toutes les réunions.

 

Par des conférences nous apprenons notre futur. Nous serons relogés dans quatre immeubles dits par Le Corbusier « Machines à habiter » le terme Cité Radieuse sera inventé plus tard. Pas de plan, pas de maquette, une information orale en réponse à nos questions :

- Un seul modèle d’appartement : une grande pièce d’environ 4 mètres 70 de haut et de large, le reste en deux niveaux de 2,26 de haut, environ 60 m², les appartements desservis par une rue intérieure : boyau de section carrée de 2,26 x 2,26 de la longueur du bâtiment, accès aux deux extrémités. Il a été certifié que la façade vitrée serait fixe, inutile d’ouvrir l’air serait conditionné, le fond de l’appartement éclairé par un système extérieur qui renverrait la lumière ???

- Equipements : cuisine et chambres aménagées. Par une diapositive nous avons pu nous faire une idée de l’aménagement d’une chambre, vu de la porte, petite pièce carrée, le mur de droite couvert de placards de rangement, dans l’angle au fond à gauche un lit deux places, cadre à même le sol, des passages très étroits, un seul meuble, une table de nuit au premier plan, on ne voyait qu’un chapeau posé sur celle-ci, il paraissait énorme dans cette petite pièce.

Par contre il nous à été bien expliqué, que dans un monde moderne, il était inutile de faire ses repas, il existerait un restaurant pouvant les fournir, de même l’entretien serait assuré par un service de nettoyage.

L’immeuble étant une unité d’habitation y comprit de loisirs, on nous à parlé d’une salle de cinéma, lieux de sports…toute la vie sociale y serait intégrée.

Une question sérieuse, l’avenir des commerçants ? environ quatre cents commerces et ateliers détruits ;

Pour la seule rue Thiers : boulangers, pâtissiers, chocolatiers, diverses épiceries, nombreux magasins d’habillement, chaussures, de meubles, arts de la table sur deux niveaux, horlogers, bijoutiers, coiffeurs, une papeterie librairie, deux quincailleries, une droguerie, deux pharmacies, un opticien, deux hôtels, trois cafés bar, deux grands magasins : Les Galeries Modernes, Le Grand Bazar, des établissement bancaires …… de nombreux artisans dans les cours.

Réponse : il existera un étage galerie marchande par bâtiment, point final.

De toute façon, ce n’est pas Monsieur Charles Edouard JEANNERET-GRIS architecte qui vient pour résoudre nos problèmes de logements et lieu de travail, il est « LE CORBUSIER » qui vient créer son œuvre d’artiste et de visionnaire.

 

Quelques informations sur le reste de la ville : quatre bâtiments face à face

2 de chaque côtés de l’ancienne rue Thiers, plus un bâtiment administratif regroupant tous les besoins, un musée en escargot, la Cathédrale non reconstruite mais couverte, une piscine au Grand Pont, la zone entre la Meurthe et les rues de la Prairie, d’Hellieule, de la Ménentille, réservée aux usines et ateliers, le derrière des usines toujours décoratif, en bordure de la Meurthe.

Disparaissent : le cinéma l’Empire non détruit, le très bel immeuble de la Banque de France.

A cette époque on ignore les voitures, seuls quelques bourgeois en possèdent.

Où ranger son vélo ou sa mobylette dans ces immeubles sur pilotis ?

Nous aurons jardins et rues piétonnes.

Une pénétration de la ville est prévue, une large rue à deux voies : la rue

Des Trois Villes actuelle prolongée jusqu’à la gare, promue centre d’échange, mais après où va-t-on  vers l’Alsace, on démolit ce qui gêne ?

Aucun plan ni maquette n’ont été présentés, seul le journal local, «  La Gazette Vosgienne » a essayé, avec les données connues, de nous en donner une idée.

Où sont les écoles ? Collège, cliniques, hôpitaux, banques….ailleurs ? hors de l’œuvre, et le Temple Protestant épargné…rasé ?

Sur ces informations nous devions accepter cette nouvelle ville, ouvriers, retraités, commerçants, médecins, notaires, petites est grandes familles, tous un et même logement. Enfin une information, ce fut le dernier contact avec Le Corbusier, une personne dans la salle, le Cinéma Empire non détruit, demande la parole «  Monsieur DUVAL, vous êtes sinistré, pouvez vous vous engagez à habiter un appartement Le Corbusier en remplacement de votre maison ? » après hésitation nous apprenons par Monsieur Duval qu’il sera possible de construire des maisons privées.

Nous avons compris, personne n’accepte la nouvelle ville aux allures de termitière et nous préférons aussi notre propre maison.

La municipalité ne peut que rejeter le projet, ou passer outre par une confiscation de tous nos dommages de guerre.

 

Il circule depuis une vingtaine années, des plans divers, une maquette existe au musée, des sites Internet conçus par des personnes n’ayant pas connu cette histoire, documents tirés de la fondation Le Corbusier, le tout bien postérieur à ce temps, commentaires relevant plus du roman de science fiction que du réel.

Si comme l’écrit Monsieur Grandidier : Alors que la maquette et les plans de Saint-Dié connaissent un succès triomphal aux Etats-Unis et au Canada et » quele président « for American Society of Plaaers and Architests and International Congress of Modem Architects » adresse une lettre aux élus déodatiens pour les féliciter de leur modernité, Saint-Dié devenant à la face du monde le plan-type de la renaissance française, le conseil municipal écarte définitivement le projet le 31 janvier 1946. »

Pourquoi les premiers intéressés n’on t-ils rien su ni vu ?

http://usine.duval.free.fr./reconstruction_grandidier.htm

ce site Web, qui fait référence, construit sur les travaux de recherche de Le Corbusier, bien postérieurs à l’époque qui nous intéresse, est le plus imaginaire de la collection..

 

Quelques réflexions :

Le Corbusier, architecte de la Chapelle de Ronchamp, a étudié le symbolisme chrétien pour l’exprimer dans sa construction ; pour le couvent des Dominicains, la règle de St Dominique ; pour St-Dié, au nom de quel pouvoir divin pouvait-il imposer par ses constructions une nouvelle façon de vivre à toute une population ? ou bien a-t-il travaillé dans le sens de l’idéologie de l’époque, Maurice Thorez rentré de Russie est au gouvernement, l’avènement d’une société marxiste sans classe, Saint Dié servant de cobaye ?

Que les industriels aient soutenu ce projet, cela se comprend, projet social pour loger leurs ouvriers non propriétaires, avec quel budget ? en rachetant les dommages des propriétaires qui n’accepteraient pas ces constructions ? Dommages négociables au tiers de la valeur.

Que les locataires l’acceptent, appartements neufs, mais ils n’ont pas compris que leurs dommages mobiliers seraient transformés en immobilier et que les aménagements ne leur appartiendraient pas.

Qu’il soit possible de construire une « Cité Radieuse » dans une grande ville, la population le permet. L’expérience que nous avons des grands ensembles met en doute l’avenir radieux de Saint-Dié « Le Corbusier » exemple Briey.

 

Pourquoi aujourd’hui falsifier l’histoire ? pour faire porter la responsabilité à la municipalité de l’époque (de droite) et à la classe bourgeoise ignare ce qu’est la ville d’aujourd’hui face à une utopie.

Je ne sais.

 

Reconstruction.

Le Corbusier parti, il n’y avait pas d’autre plan. Le plan de Jacques ANDRE est repris comme base sous la direction de Monsieur Georges MICHAU, architecte en chef du ministère de la reconstruction et de l’urbanisme.

La rue Thiers est construite ainsi que le début de la rue Dauphine et Stanislas. Sur la future place de la Mairie la Chambre de Commerce démarre.

La mort de l’architecte permet tous les abus. En premier la Sous Préfecture se construit, sans respect des plans, à son ancien emplacement avec en plus un jardin en bordure de la rue Stanislas qui devait être rue commerçante. Plus de place pour la Mairie qui devait être construite au sud de la place (en place de la Tour de la Liberté ) plus rien ne peut être respecté.

. Devant la Cathédrale un propriétaire reconstruit son immeuble, angle de la rue du Nord et de la rue de la Cathédrale.

Tout le plan de cette place serra abandonné. Le reste de la ville se reconstruira dans le plus grand désordre avec comme seule règle les règlements administratifs de plus en plus contraignants.

 

Une usine.

 

Le Corbusier revient à Saint-Dié pour reconstruire l’usine Claude & Duval, bonneterie, fabrique de sous-vêtements en coton tricoté.

Pourquoi construire une usine avec au départ les contraintes d’une ossature béton sur pilotis prévue pour les « Machines à habiter » ?

Pour garder les pilotis, une chaufferie et silo à charbon enterrés. Un espace libre, garage à vélos des ouvriers, non fermé, très agréable en hiver ! Pendant quelques dizaines d’années cet espace nous a offert la vision d’un dépôt de caisses et d’emballages, usine verte !!! Le « modulor » est peut être supérieur aux mesures métriques, mais pour une usine !!! Les métiers à tricoter devaient être au premier étage mais vu la place perdue entre les piliers, très rapidement un ancien bâtiment a été aménagé pour recevoir les machines. Nous avons fabriqué dans notre atelier des châssis métalliques pour faire des faux plafonds dans ce vieux bâtiment qui étaient destinés au stockage.

Le stockage est venu dans le bâtiment neuf, et vu les baies vitrées la ville à pu contempler durant des dizaines d’années les vitres barbouillées de bleu.

Pour un problème de manutention, le magnifique pignon nord en pierre de taille à été complété par un bâtiment en tôle….si l’emplacement des postes de travail n’était pas toujours agréable entre salle et mezzanine, certaines ouvrières pouvaient contempler à loisir la magnifique vue de la ville.

Un ralentissement et modification de l’activité à permis une meilleure présentation du bâtiment, la démolition de l’ajout métallique, le nettoyage des lieux et le classement « Monument Historique »

Cette usine fut unique.

 

Je ne me permettrais pas de juger une propriété privée, mais l’Usine Claude & Duval est classée « Monument Historique » et de ce fait monument national, il est donc possible comme tout monument de l’aborder avec un esprit critique.

 

le 12 mars 2007

Gilles VILLAUME

6, rue N.F. Gravier

88100 Saint-DIE

villaume.g.m@wanadoo.fr

 

(ce texte était destiné aux deux réalisateurs d’un projet de film sur l’oeuvre de Le Corbusier)

 

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