El
Corazon, El Caudillo...
C'était en 1978, le gouvernement cubain avait lancé sa plus forte
campagne touristique sur le sol québécois via son Agence Cubana Tours.
Jamais destination au Sud n'avait été aussi alléchante en matière
de prix et de propositions exotiques.
Beaucoup de gens éprouvaient encore de la réticence à mettre les pieds
sur un sol communiste et de plus, les Douaniers Américains vous regardaient
d'un mauvais oeil en voyant le tampon Cubain sur votre passeport lorsque
par la suite vous aviez à l'exhiber pour une destination telle Porto
Rico et autres États et Territoires de leur République.
Heureusement, comme toujours, je n'avais que faire de la politique
Américaine et même internationale. J'avais vaguement vécu la Révolution
Cubaine dans les journaux de l'époque, la Baie des Cochons, Guantanamo,
la Crise des missiles, l'intervention en Angola et bien d'autres faits
de la vie cubaine, la plus jeune « colonie » marxiste-léniste de l'après-guerre.
De même j'avais beaucoup lu sur Fidel Castro ; il me tardait de visiter
cette île libérée de son Battista corrompu et des sbires de la pègre
internationale et américaine. Qui sait, peut-être aurais-je même la
chance d'entrevoir ce Président encore vénéré par l'ensemble de ses
concitoyens.
C'est un dimanche après-midi d'avril que nous quittâmes Dorval à bord
d'un Ilyushin de Cubana Airlines. À cause de l'interdit de vol du
territoire américain, nous avons dû remonter vers Terre-Neuve et longer
ensuite les côtes atlantiques nord-américaines pour atteindre la Mer
des Caraïbes et mettre enfin le cap sur Cuba. Dès l'atteinte du palier
de vol en haute altitude, nous avons pu goûter à l'hospitalité cubaine
par un généreux cocktail fruité servi par les hôtesses de bords, puis,
un repas succulent de jambon et poulet aux épices du pays. Il y avait
du soleil à bord dans le service aux passagers ; le voyage s'annonçait
aussi exotique que la publicité de Cubana Tours.
Quelques heures plus tard nous atterrîmes à La Havane où les modalités
d'accueil furent rapidement expédiées par les douaniers et nous pûmes
monter dans les cars qui nous étaient assignés pour chacune des destinations
de groupe ; c'est dans celui de Varadero que je montai. Le nouvel
aéroport étant plutôt en périphérie, je n'eus guère la chance que
d'entrevoir la Capitale et ses rues coloniales ; toutefois les dire
des anti-tourisme-cubain étaient complètement mensonger : peu de bannières
révolutionnaires et peu de photos du « Presidente ». À cette époque,
Cuba ressemblait encore plus à notre Amérique des années '50 avec
ses routes secondaires étroites, sa campagne assez pauvre et ses vieilles
bagnoles de nos parents que l'on ne trouvait plus guère que chez le
ferrailleur chez nous. Étonnamment, leurs propriétaires savaient les
faire rutiler comme des neuves et ruser de finesses propres aux pilotes
de courses pour ne bas les abîmer en carambolage les uns contre les
autres dans leurs courses folles et téméraires.
C'est sans encombre que nous parvînmes enfin à Varadero et l'Internationale
Hôtel, vestige du gangstérisme et de la prostitution converti en honnête
quatre étoiles cubains pour les touristes. Varadero n'était toujours
qu'un grand village en bordure de mer avec ces kilomètres de plages
de sable blanc. Au menu des activités : la plage, les parties de foot,
la piscine, la plongée, les grottes, les champs de canne à sucre,
le rhum blanc et brun, les B.B.Q sur la plage en soirées, le Cabaret
et la joie de vivre des cubains, etc. Au menu de table : du poulet,
du jambon, des oeufs, du poulet, du jambon... à toutes les sauces
pour quelqu'un comme moi qui ne daigne pas croquer une crevette et
tout autre de ses congénères marins ...
Un jour une belle grosse tortue de mer, bien dodue, fut capturée par
les gens de l'hôtel et apprêtée au B.B.Q. du souper... et je dû encore
et toujours déguster le jambon et le poulet.
Contrairement à ceux qui avaient choisi les « villas » sur la plage,
aucun visiteur reptilien ne visitait nos chambres d'hôtel, une compagnie
que je n'aurais guère appréciée.
Dans ces jours de farniente je me suis bien quelquefois trempé dans
les eaux chaudes de la mer, mais c'était toujours avec réticence à
cause des croûtes de sel à gratter sous la douche et de troublants
appels des surveillants de plage lorsqu'un mystérieux aileron flottait
au large ; faut comprendre que les « Dents de la mer » m'avaient assez
impressionné...
J'étais donc de ce genre de touristes assez terrestres pour visiter
des lieux historiques et autres attractions du pays plus qu'amateur
des eaux bleues des Caraïbes; aux tubas-touristes la plongée et autres
beautés marines et à moi l'Histoire, les vieilles Cabanes des Espagnols-colonisateurs
et les « progrès du communisme sous la poigne de Fidel ». Ma première
excursion sur le sol de ce Cuba moderne fut une marche jusqu'au portes
du Camp russe où les permissionnaires de l'Armée Rouge profitaient
eux aussi des plages et douceurs cubaines. À quelque trente pieds
des dites portes je fus stoppé net par une patrouille qui m'intima
clairement dans un anglais à saveur de cannelle l'ordre de rebrousser
chemin d'où je venais ; « Ah ben ! C'est vraiment interdit de s'approcher
comme le disait en quatre langues les pancartes... et moi qui pensais
pouvoir rencontrer les dignes représentants de la Sainte-Mère Russie
Rouge ! » Non, non ! ils furent souriants et polis ! comme quoi les
devises fortes étaient plus nécessaires à l'économie cubaine que de
chasser les touristes en les effrayant.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous raconter en détail les dix jours
de ce voyage, vous en mourriez de lassitude. À cette époque vous ne
vous déplaciez qu'en groupe et avec une destination très précise et
de plus, votre passeport était « détenu » dans le coffre-fort de votre
hôtel jusqu'au matin de votre retour à la maison. Vos destinations
étaient donc assez limitées et la circulation des touristes discrètement
(mais constamment) surveillée.
Malgré tout, rarement voyons-nous des soldats ou policiers aux abords
des zones touristiques. C'est ainsi que nous pûmes déguster un souper
à l'Européenne dans la maison d'Hemingway, boire notre saoul de rhum
brun, danser sous les étoiles et revenir bruyamment à nos chaumières
sans le moindre ennui policier ; de toute façon je crois que les militaires
préféraient ne pas croiser les voitures taxis circulant après la nuit
tombée de peur d'abîmer leurs nouveaux transports russes.
Toutefois c'est en autocar que nous retournâmes tous un soir pour
un souper-cabaret à La Havane au plus ancien établissement du genre
de l'île. Un spectacle... un spectacle grandiose, rythmé, lumineux,
envoûtant que je n'oublierai jamais. C'est ce soir là aussi que nous
avons tous pu constater la qualité du système de santé cubain. On
nous avait avertis de ne pas demeurer au soleil entre midi et quatre
heures de l'après-midi sous peine d'étourdissements, de déshydratation
et maux de têtes ; une dame n'avait pas suivi le conseil et, en route
pour La Havane, l'autocar dû la conduire d'urgence à la clinique d'un
village où elle fut prise en charge. À notre grande surprise, à notre
retour vers les 2 h de la nuit, l'autocar s'arrêta de nouveau à la
clinique pour y quérir sa passagère, encore sonnée mais soignée, et
la ramener à l'Internationale.
Les contacts avec le peuple cubain étaient assez limités vu la langue,
mais pas impossibles. C'est ainsi que quelques-uns cherchaient à acheter
vos jeans et vos T-shirts, que ma compagne combla les yeux ravis de
notre femme de chambre en lui faisant don de sa « robe paysanne »
et quelques sacs de bas de nylon achetés à rabais et autres vêtements
encore rares pour les gens du pays. Les pourboires ? Impensables d'en
donner à cette époque ; vos pesos à l'entrée et à la sortie étaient
contrôlés rigoureusement et nous devions tous enregistrer dans un
carnet les transactions de paiements et achats effectués pendant le
voyage en sol cubain. Le Peso cubain était inconvertible. Gare à celui
ou celle qui se faisait prendre à l'aéroport avec plus de « dollars
» qu'il n'en avait déclarés à l'arrivée.
Aussi je m'inquiétais pour ce jeune torontois arrivé une semaine avant
nous et devant repartir le même dimanche que nous car de ses trois
ou quatre valises de voyage qu'il possédait il n'en aurait plus qu'une
au retour ; il m'avait avoué avoir tout vendu à fort prix et avoir
fait le voyage pour cette raison. En dollars d'époque un jean valait
jusqu'à $ 250.00 U.S. !
Quant à moi j'avais bien rendu un petit service à un jeune couple
cubain désirant acquérir une radio portative au magasin des touristes
où ils ne pouvaient acheter, mais j'avais refusé leur $ U.S. leur
offrant l'objet gracieusement, d'autant que le garçon était ce guide
chaleureux qui nous accompagnait en autocar dans nos tournées. Ah
? Vous ai-je dit que les piquets de clôtures dans les campagnes cubaines
repoussent en arbres ? En bordure des champs des clôtures, des kilomètres
de clôtures et à chacun des faîtes de poteaux, une tête de jeunes
pousses touffues d'un vert éclatant. Ça c'est du travail environnemental
!
Et Fidel dans tout ça ? Eh bien justement le 1er mai fut la veille
de notre départ et je pus enfin voir l'Homme de ma curiosité... livrant
son discours à la Télé ; dommage j'aurais bien aimé lui serrer la
pince.
Et tous ces Viva ! et tous ces Cuba Libre ! Ça me rendait encore aussi
ivre (le rhum brun aidant) que notre « Vive le Québec libre ! »
Vanille, canne à sucre, salsa, cha cha, parfums, beautés, exotisme,
Cuba...
Et notre vendeur de jeans dans tout ça ? Les douaniers le séparèrent
du groupe à l'aéroport et le départ en fut retardé d'une heure après
quoi il fut reconduit à nous et surveillé jusqu'à l'embarquement;
vu sa mine piteuse, je n'osai pas le questionner sur son « entrevue
» avec les douaniers mais constatai qu'il n'avait pas même de bagage
à main.
Éloix©
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