LE TIMBRE 1









Lettre à une contrée lointaine


Chère contrée lointaine,

D'indicibles murmures gravitant dans l'air sont venus toucher ma plume, un élan brumeux, une écume probablement née de la sève contée. Une sève à la fois imaginaire et réelle, venant du cristal qui fait battre la source. Cette source où nous puisons nos rêves, où nous sommes réalisés. Je ne puis moi même vous dévoiler l'entièreté de son mystère, juste donner corps à des brides soufflées à travers l'encre.

Savez-vous, chère lointaine, je ne suis ni explorateur, ni saltimbanque, ni vendeur, ni acheteur de quelconques denrées, comme ce fut le cas de tout temps pour les hommes, les embarcations errant d'une terre à l'autre. Vous rappelez vous du temps des conquêtes, des terres vierges ? J'imagine que quelque part, malgré les traces, l'histoire qui est venue se mêler, se tracer, se graver dans votre peaux rocheuse, il reste une part de cette inconnue à l'âme libre. J'aime à croire que les hommes, même ceux à l'esprit propriétaire, courtisent en sachant laisser une part d'esprit propre. Peut être pour s'en imprégner, peut-être que ce sont leur cœur avide d'espace qui se sont repus et qui ont été marqués à jamais de l'empreinte de vos lacs, de vos forêts, de vos ardeurs, de vos gelures ? Peut être est-ce pour respecter votre beauté que certains ont décidé de vous considérer propre, inconquise, et de vous donner le droit à vous trouver de vous même ?

Savez-vous, chère lointaine, les images de l'écoulement des millénaires dans l'esprit, le temps de l'inconnu où tout reste possible, le temps des trappeurs, des chasses, des soliloques, des monologues avec la nature, puis le temps des rassemblement, le temps de la culture, des danses, des chaumières pour se réchauffer, le temps la recherche du folklore locale, après la période glaciaire où vous ont foulés les Hommes. Vous le savez mieux que quiconque, nul créature n'est irremplaçable. Vous en avez vu défiler, quelque part victimes des diasporas. Mais seul les plus braves, les plus volontaires, vous avez en votre sein gardé et nourri, et les avez porté, luttant avec
eux contre opprobres.

Comme si toute terre différente finissait par être soumise aux mêmes intempéries, même si à des périodes différentes, j'imagine, au bout du compte, que votre là-bas n'est pas bien différent d'ici, d'autant plus lorsque continuent à se mélanger les sangs, les amours, les couches, les rêves, les liens. Et puis ne sommes nous pas déjà lié d'une manière ou d'une autre dans le hors temps ? De plus, les larmes de chagrin d'amour, de chutes, de bobos, ne sont pas t'elles façonnées dans les mêmes abîmes ? La même vue étoilée, le même air, le noyau terrestre n'est il pas le même ? Les histoires d'amour n'ont-elles pas le même goût du toujours, le même soleil, les même cieux pour convoler ? Le touché d'une main, l'amour d'une mère, d'un père, d'un enfant, l'amour universel, l'amitié, les rires, le sourire, l'émerveillement et d'autres sentiments moins folichons ne sont-ils pas les mêmes ? Oh, il doit bien y avoir quelques nuances, mais l'âme reste l'âme, et sa soif de liberté inextinguible conduit sur des sentiers similaires. Ce qui ne vous empêche pas d'avoir bien sûr vos différences, d'être attrayante, votre esprit propre, vos paysages uniques, votre cuisine forgée dans le mélange, votre accent savoureux, vos chanteurs et artistes forgés dans le climat de votre tout.

Savez-vous, chère lointaine, où je veux en venir ?  Peut être à vos yeux ces mots ne sont que divagations, généralités de français ignorant la vue réelle de votre chaire, de votre terre, de la symphonie de vos saisons. Et pourtant, j'aime à croire que nous sommes pas si différent et que j'arrive à vous cerner puisque tous deux nous faisons parti, à un niveau différent certes, du cycle de la vie. Vous savez, cette vie qui nous extirpe d'on ne sait vraiment où, du néant ? Cette vie qui nous enveloppe, nous secoue, nous amène sur des sentiers inconnus, où tout est possible. Je me demande cette vie, où va t'elle conduire nos barques ?  Nous, humains, avons un certain pouvoir sur le courant, avec des rames. Mais chaque coup influe sur autrui et il en découle des imbroglios pas toujours très ragoûtant. De la même manière qu'en vos fonds il y a une guerre entre certains éléments, le magma et l'eau, sur votre terre tout n'est jamais rose. Dans certains ailleurs, dans des territoires mitoyen, la haine ronge, les champs de la violence, l'hégémonie de la compétition, de la haine, l'esprit de la guerre, la soif du pouvoir vainqueur, détruisent sans sens des fondations, déblayent l'altruisme, atomisent les liens avec les prochains, les frères et sœurs d'âme.  Certains sont prêt à tout pour laisser leur trace, certains foncent droit dans le mur prêt à mettre fin à tout sans calculs.... et la vie n'a plus de cycle, et la vie se meurt.

Vous commencez à deviner, à faire la lumière sur mes images allusives ? Nous autres terriens, avons soif d'espace, de découvertes, d'exotisme, de songes, et pouvons être parfois inconscient dans l'espoir que le monde reflète notre image. Vous avez vu naître un melting-pot de "conquistadors", emprunt d'une certaine humilité dans votre immensité, ils ont donné le meilleurs d'eux même. Là où d'autres batailles pour le pouvoir, ils ont choisi dans leur loi l'amour , ils se sont battus et se battent encore pour préserver ce qui leur est cher. J'essaye d'imaginer les vers qu'aurait écrit un poète du 19ème en pareil occasion. Peut-être aurait-il parler de bateau ivre ouvrant la grande voile aux vents de l'incertitude. Peut-être aurait-il fait une ode aux derniers marins, explorateurs. Peut-être aurait-il parler de conquête de l'univers, de recherche de l'étoilé. Peut-être aurait-il fait une litanie, une complainte aux temps révolus. Peut-être aurait-il parler d'exil ou de joie, de (re)trouvailles. Peut-être se serait-il contenté de louanges à la liberté, à la liqueur de l'âme vivant vos saisons. Je ne sais... Et puis j'imagine surtout en cet instant où j'encre ces dernières lignes, les vœux que ferait un ancêtre de ma contrée voyant un des siens prêt à s'aventurer sur les eaux vous séparant de nous, par le biais de la Capricieuse ou la Galathée. J'imagine aussi et avant tout la lettre que je pourrais écrire à mes amis au bord de vos terres, au bord du fleuve Saint-Laurent et autres noms donnés à vos parties intimes. J'imagine les vœux que je pourrais leur faire, que je pourrais envoyer en utilisant le bateau des temps moderne pour envoyer la missive, un bateau sans la saveur du grand large, sans le goût de la proximité, mais un moyen de voyager d'une certaine façon quand même... Puissiez-vous continuer à leur offrir une belle vie, puissiez-vous continuer à permettre l'œuvre de la liberté, la paix et comme j'aime à le dire souvent "et tout ça", pour ceux qui ont mis pieds en vos contrées, qui au hasard sont allés errer en vos terres, cherchant, comme tout un chacun censé, un bout de paradis, un coin de songe où se poser, s'ancrer.

Au plaisir de fouler encore en corps de songe vos merveilles cher Canada,

Un français


Pascal Lamachère©






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