« TESTAMENT »
DU CARDINAL MARTINI
Le « Corriere della Sera »
du 1 sept. 2012 a publié à titre posthume, un entretien avec le
cardinal Carlo Maria Martini, au lendemain de son décès, survenu
le vendredi 31 août 2012 à l’âge de 85 ans.
L’Eglise est en retard
de 200 ans.
Comment se fait-il qu’elle ne se réveille pas ? Avons-nous peur
? Peur au lieu de courage ?
Pourtant la foi est le fondement de l’Eglise. La foi, la confiance, le
courage.
« TESTAMENT » DU CARDINAL MARTINI
Comment voyez-vous la situation actuelle de l’Eglise ?
L’Eglise est fatiguée, dans l’Europe du bien-être et
en Amérique. Notre culture a vieilli, nos églises sont grandes,
nos maisons religieuses sont vides et l’appareil bureaucratique de l’Eglise
gonfle, nos rites et nos habits sont pompeux. Ces choses, cependant expriment-elles
ce que nous sommes aujourd’hui ? […] Le bien-être pèse.
Nous nous trouvons là comme le jeune homme riche, qui s’en va triste,
lorsque Jésus l’appelle à devenir son disciple. Je sais
que nous ne pouvons pas facilement tout abandonner. Au moins, cependant, pouvons-nous
rechercher des hommes libres et plus proches des autres. Comme l’ont été
l’évêque Romero et les martyrs jésuites du Salvador.
Où sont chez nous les héros desquels s’inspirer ? En aucune
raison nous ne devons les enfermer dans les contraintes de l’institution.
Qui peut aider l’Eglise aujourd’hui ?
Le père Karl Rahner utilisait volontiers l’image de la braise qui
se cache sous la cendre. Je vois dans l’Eglise d’aujourd’hui
tellement de cendre sur la braise que souvent un sentiment d’impuissance
m’assaille. Comment peut-on libérer la braise de la cendre pour
raviver la flamme de l’amour ? En premier lieu, nous devons rechercher
cette braise. Où sont les simples personnes remplies de générosité
comme le bon samaritain ? Qui ont une foi comme celle du centurion romain ?
qui sont enthousiastes comme Jean Baptiste ? Qui osent le neuf comme Paul ?
Qui sont fidèles comme Marie Madeleine ? Je suggère au pape et
aux évêques de chercher douze personnes atypiques pour les postes
de direction. Des hommes qui soient proches des plus pauvres et entourés
de jeunes ayant l’expérience des choses nouvelles. Nous avons besoin
de la rencontre avec des hommes qui brûlent pour que l’esprit puisse
se répandre partout.
Quels outils suggérez-vous contre la fatigue de l’Eglise
?
J’en suggère trois très puissants.
Le premier est la conversion : l’Eglise doit reconnaître ses propres erreurs et prendre la voie radicale du changement, à commencer par le pape et les évêques. Les scandales de pédophilie nous poussent à entreprendre un chemin de conversion. Les exigences sur la sexualité et sur tous les thèmes qui impliquent le corps en sont un exemple. Celles-ci sont importantes pour chacun et parfois peut-être, sont-elles aussi trop importantes. Nous devons nous demander si les gens écoutent encore les avis de l’Eglise en matière sexuelle. Dans ce domaine, l’Eglise est-elle encore une autorité de référence ou seulement une caricature dans les médias ?
Le second est la Parole de Dieu. Le concile Vatican II a restitué la Bible aux catholiques. * […] Seul celui qui perçoit cette Parole dans son cœur peut faire partie de ceux qui contribueront au renouveau de l’Eglise et qui sauront répondre aux demandes personnelles avec une démarche pertinente. La Parole de Dieu est simple et cherche comme compagnon un cœur à l’écoute […] Ni le clergé ni le Droit ecclésial ne peuvent se substituer à l’intériorité de l’homme. Toutes les règles externes, les lois, les dogmes nous sont donnés pour éclairer la voie intérieure et pour le discernement des esprits.
Pour qui sont les sacrements ? Ceux-ci sont le troisième instrument de
guérison. Les sacrements ne sont pas un instrument de discipline mais
une aide pour les hommes tout au long du chemin et dans les faiblesses de la
vie. Portons-nous les sacrements aux hommes qui ont besoin d’une force
nouvelle ? Je pense à tous les divorcés et aux couples remariés,
aux familles recomposées. Ceux-ci ont besoin d’une protection spéciale.
L’Eglise soutient l’indissolubilité du mariage. C’est
une grâce quand un mariage et une famille réussissent […].
L’attitude hostile que nous portons à l’égard des
familles recomposées déterminera les rapports de la génération
des fils avec l’Eglise. Une femme a été abandonnée
par son mari et trouve un nouveau compagnon qui s’occupe d’elle
et de ses trois fils. Le second amour réussit. Si cette famille devient
discriminée, non seulement la mère mais aussi ses fils deviennent
exclus. Si les parents se sentent en dehors de l’Eglise et n’en
sentent pas le soutien, l’Eglise perdra la génération suivante.
Avant la Communion, nous prions : « Seigneur, je ne suis pas digne…
» Nous savons que nous ne sommes pas dignes […] L’amour est
grâce. L’amour est un don. La question de savoir si les divorcés
peuvent communier devrait être renversée. Comment l’Eglise
peut-elle venir en aide, avec la force des sacrements, à ceux dont la
situation familiale est complexe ?
Vous personnellement, que faites-vous ?
L’Eglise est en retard de 200 ans. Comment se fait-il qu’elle
ne se réveille pas ? Avons-nous peur ? Peur au lieu de courage ? Pourtant
la foi est le fondement de l’Eglise. La foi, la confiance, le courage.
Je suis vieux et malade et je dépends de l’aide des autres. Les
bonnes personnes qui m’entourent me font sentir l’amour. Cet amour
est plus fort que le sentiment de défiance que je perçois parfois
vis-à-vis de l’Eglise en Europe. Seul l’amour est vainqueur
de la fatigue. Dieu est Amour.
J’ai encore une question pour toi : que
peux-tu faire, toi, pour l’Eglise ?
Mort d’un grand réformateur
Le « Corriere della Sera » du 1 sept. 2012 a publié à titre posthume, un entretien avec le cardinal Carlo Maria Martini, au lendemain de son décès, survenu le vendredi 31 août 2012 à l’âge de 85 ans.
Le père Georg Sporschill, le confrère
jésuite qui l’avait interwievé dans l’ouvrage «
Conversations nocturnes à Jérusalem – Sur le risque de la
foi »* et Federica Radice ont rencontré le cardinal Martini le
8 août dernier. Le texte de leur entretien, est « une sorte de testament
spirituel que le cardinal a lu et approuvé ».
*******
Christian Laporte
Mis en ligne le 01/09/2012
Le cardinal Martini incarnait le courant le plus ouvert de l’Eglise de Rome.
Évocation
Malgré une santé déjà très défaillante
due à la maladie de Parkinson qui devait finir par le rendre aphone,
le cardinal Carlo Maria Martini, dont on a appris le décès à
Milan à l’âge de 85 ans ,était encore l’incontestable
"challenger" de Josef Ratzinger au conclave d’avril 2005. Selon
certaines fuites après l’élection du Pape allemand, l’ancien
archevêque de la grande métropole du nord de l’Italie était
resté, au moins au début du conclave, le porte-parole de la mouvance
la plus moderniste pour ne pas dire progressiste de l’Eglise catholique.
Les électeurs de Martini savaient pertinemment qu’il serait difficile
de maintenir sa candidature jusqu’au bout mais n’en envoyèrent
pas moins un signal clair à la Curie qui avait laissé entendre
que le successeur de Jean-Paul II devait nécessairement s’inscrire
dans sa ligne. Pourtant ce grand prélat jésuite n’était
pas un révolutionnaire ; au contraire, sur bien des matières,
il était proche de la majorité des prélats mais il entendait
parachever l’ouverture de l’Eglise au monde après la clôture
du concile Vatican II et contrairement à bien des collègues, il
le disait haut et clair. Mieux, constatant qu’il y avait encore moult
zones d’ombres et d’imperfections, il avait franchi un pas supplémentaire
en appelant de ses vœux la convocation d’un concile Vatican III.
Il était en effet troublé par le manque "parfois dramatique"
de prêtres et voulait donner plus de responsabilités aux laïcs
et aux femmes. Martini était aussi préoccupé par le statu
quo de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux mais entendait
aussi faire discuter l’Eglise du rapport entre démocratie et valeurs
et entre lois civiles et loi morales.
Né à Turin le 15 février 1927, Carlo Maria Martini était
un grand exégète ce qui avait amené Paul VI, son prédécesseur
à Milan, à lui confier la direction de l’Institut biblique
et celle de l’Université grégorienne. En 1979, Jean-Paul
le plaça à la tête de l’archidiocèse de Milan,
le plus grand d’Europe. En 2002 lors de son admission à la retraite,
il avait réalisé un vieux rêve en allant s’installer
à Jérusalem mais resta à l’écoute de la vie
de l’Eglise. Il jeta encore toutes ses forces dans l’élection
du successeur de Jean-Paul II. Comme il l’a dit dans un livre d’entretiens,
à cette occasion, il avait plaidé pour que l’Eglise fasse
montre de davantage de courage dans ses attitudes face à la sexualité
ou face encore à la douloureuse question des divorcés remariés.
Carlo Maria Martini s’était aussi clairement positionné
face à l’encyclique "Humanae Vitae", qui avait creusé
un immense fossé entre nombre de chrétiens et le Vatican à
propos de la question de la contraception. "L’encyclique a souligné
de façon correcte un grand nombre d’aspects humains de la sexualité
mais de nos jours, nous disposons d’un horizon plus large pour aborder
les questions touchant à celle-ci. Il y a lieu aussi de tenir compte,
bien davantage, des demandes des directeurs de conscience et des jeunes."
Et de plaider pour une voie qui puisse parler "de manière appropriée
du mariage, du contrôle des naissances, de la fécondation artificielle
et de la contraception". Pour Mgr Martini, l’Eglise aurait
dû reconnaître qu’elle s’était trompée.
Et d’attendre un geste aussi fort que ceux de Jean-Paul II face au judaïsme
ou à propos de l’injuste condamnation de Galilée. "C’est
un signe de grandeur et de confiance en soi lorsque quelqu’un est capable
de reconnaître ses fautes et son manque de lucidité d’hier."
Le cardinal Martini était perplexe face aux nouveaux mouvements d’Eglise, redoutant leur "valeur absolue" qui les transformait en "véritables idéologies". En 2007, il fit aussi savoir qu’il ne célébrerait pas la messe tridentine (en latin) d’avant le Concile, lorsque celle-ci fut de nouveau autorisée, plutôt sceptique sur le retour des moutons noirs traditionalistes au bercail romain.
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Des transgressions légitimes
?
Texte tiré
du mouvement "JONAS"
Quels sont les points plus « sensibles » ? - Ne plus refuser la communion aux croyants divorcés remariés ou qui appartiennent à d’autres églises chrétiennes. - Appeler « Célébration eucharistique sans prêtre » les célébrations avec distribution de la communion. - Ne plus tenir compte de l’interdiction de prêcher fait aux laïcs formés et aux professeures de religion (Religionslehrerinnen). - Changer l’image du prêtre pour que chaque paroisse puisse avoir un responsable, homme ou femme, marié ou non. - S’exprimer publiquement en faveur de l’ordination à la prêtrise de femmes et d’hommes mariés.
Pour les « acteurs de terrain », ces points n’ont rien de surprenant. Si les titres de la presse ont parlé d’un « vent de rébellion », les commentaires soulignent qu’ils jouissent d’un « large soutien dans l’opinion » - en tout cas dans nos pays.
L’initiateur du mouvement, Helmut Schüller, ancien vicaire général de l’évêque, curé d’une des paroisses de Vienne, s’est expliqué sur ce qui a motivé cet Appel. Le préambule du texte est clair : « Le refus de Rome d’adopter des réformes depuis longtemps nécessaires et l’inaction des évêques ne permettent pas seulement, mais exigent que nous suivions notre conscience et que nous agissions de manière autonome ».
Dans l’actuelle tendance au recentrage qui domine au Vatican, on peut comprendre que, pour un nombre croissant de prêtres, il devenait impératif, en conscience, non seulement d’adopter des pratiques transgressant les règles officielles, mais de les afficher, pour amener, si possible la hiérarchie catholique à accepter officiellement des changements déjà largement entrés dans les faits. En effet, sur le terrain, l’application sans discernement des règles en vigueur peut en certains cas blesser gravement des personnes et des communautés et les éloigner de la communion ecclésiale.
Dans les sociétés en changement rapide comme les nôtres, le droit est souvent en retard sur les faits. Mais l’initiative des innovations provient rarement des autorités en place. Les modifications du droit sont généralement précédées par l’introduction de « coutumes contraires au droit ». Ces « transgressions » s’introduisent à la faveur d’une tolérance tacite des autorités, même si celles-ci, périodiquement, jugent nécessaire de rappeler les règles. Jusqu’au jour où il devient impératif de les modifier. Jusque là, « faites-le, mais ne demandez pas ma bénédiction ».
Les auteurs de l’Appel invoquent un devoir de conscience. Peut-être est-il bon de rappeler qu’il existe en la matière une série de critères généralement admis. Je les évoque rapidement : - la reconnaissance d’un état de besoin qui n’est pas le fait d’un individu, mais d’une communauté ; - la volonté d’être fidèle à l’Esprit, ce qui se traduit en pratique par la disponibilité à adopter des solutions meilleures ;- le souci de rester cohérent avec la visée initiale ; - enfin, la volonté de sauvegarder la communion, quitte à accepter de passer par une phase conflictuelle.
De tels choix de transgression comportent des risques. Y compris celui de l’échec. En un temps où l’avenir du christianisme à l’occidentale est plein d’obscurités, la prise de risque est nécessaire. C’est là qu’intervient le critère finalement décisif : l’innovation qui transgresse les règles en vigueur sera-t-elle ou non « reçue » dans l’Eglise ? Cela demande parfois du temps. Sur ce point, nous ne pouvons que faire confiance à la sagesse de ceux et celles qui nous suivront et « recevront », ou non, nos essais plus ou moins tâtonnants. (Paul Tihon, prêtre jésuite, théologien)
. Paru dans le journal « La libre Belgique »
du 16 Novembre2011