LE DOUTE

"La nuit intérieure est un temps de purification"
Un entretien avec Monseigneur Gaucher, ancien évêque de Lisieux


En quoi consiste » la nuit de la foi » ?
Dans l’itinéraire spirituel, et beaucoup de saints, comme Benoît, Ignace, Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix en témoignent, il y a des temps de purifications de la foi. Cela se caractérise par une succession de lumière, puis d’aridité, de sécheresse. C’est normal et connu. Les mystiques en ont souvent parlé. Cela peut se traduire par un sentiment d’absence de Dieu, par l’absence de sensibilité de Dieu dans la prière.
Jean de la Croix parle de la nuit des sens et de la nuit de l’esprit. Cette dernière peut frôler la déprime, le sentiment de l’inutilité, le désespoir. Saint François de Sales raconte qu’au cours d’une période de " nuit " il a eu la tentation du suicide !

Comment croire que Dieu peut ainsi se dérober à notre tendresse?
Le but de la vie c'est l'amour, en tant que relation à l'autre. Or, notre amour est souvent possessif, captateur, il a besoin de purification. La nuit spirituelle, mais aussi les souffrances de la vie peuvent conduire à l'accroissement de l'amour. L'épreuve peut être la preuve de la révélation du coeur.

Thérèse de Lisieux également vécu cette épreuve dans les derniers mois de sa vie. Elle parle de « nuit noire » de « ténèbres »
Thérèse a vécu une grande épreuve de la foi et de l’espérance, qui l’a conduite à une mission apostolique. Elle a connu l’union au Christ à Gethsémani et sur la Croix , pour le salut du monde: "pour que les incroyants aient la lumière "

Que mère Teresa ait connu, comme Thérèse de Lisieux, une nuit intense faite d’absence de sensibilité dans la prière, vous étonne t-il ?
Non, cela ne m’étonne pas ! Que Mère Teresa, toujours souriante, toujours disponible, ait connu cette expérience, n’a rien d’étonnant. Personne n’y voyait rien, mais elle a tenu dans la tempête. C’est dans cette épreuve que cette femme exceptionnelle a tiré son énergie. Elle avait une union au Christ très forte .

N’y aurait-il que les grands saints, les mystiques, qui connaîtraient une pareille épreuve ?
Non, tous les croyants peuvent la traverser. Y compris dans les couvents ! D’ailleurs, quand cela arrive, il faut être accompagné par quelqu’un qui y comprenne quelque chose, car cela être confondu avec une dépression. Le père Marie-Eugène, carme, disait que nos souffrances sont des nuits à traverser en union avec le Christ. Beaucoup de gens disent qu’ils ont perdu la foi. Souvent, ils ont perdu le sentiment de la foi, ce qui n’est pas pareil.
Cette épreuve n’est pas une punition, Dieu ne cherche pas à nous éprouver sadiquement.
Mais elle nous permet de fortifier notre foi.
A condition de la traverser avec patience, confiance, dans la prière et la charité fraternelle, en étant accompagné.

 

 Propos recueillis par Sophie de Villeneuve ( CROIRE )

 

L'épreuve de Mère Teresa

La "nuit profonde " qu'aura connue Mère Teresa est bouleversante. Retour sur cette expérience spirituelle que connaissent beaucoup de croyants


"L'amour ne se mesure pas, il se donne"

C'était le 6 septembre 1997. Quelques jours à peine après la disparition tragique de la plus glamour des princesses, s'éteignait à Calcutta la plus connue des religieuses, la plus admirée aussi et, certainement, la plus étonnante .

Mère Teresa en aura en effet épaté plus d'un. Sa vie, sa vocation et son oeuvre parlent pour elle. Parce qu'elle avait reçu, comme un ordre divin, l'appel à se mettre, dans les bidonvilles de Calcutta, au service des misérables et des sans-abris, elle avait quitté, à presque 40 ans, le confort de son monastère. Jusqu'à la fin de ses jours, elle vécut au milieu des sans-abris et des mourants, fondant au fil des années et dans divers pays, des maisons d'accueil pour les plus déshérités.

A sa mort, les Soeurs Missionnaires de la Charité, ordre qu'elle avait fondé en 1950 et qu'elle dirigeait toujours, regroupait 4000   membres, sans compter la confrérie associée et plus de 100 000 volontaires. 

Béatifiée en 2003 par Jean-Paul II, mère Teresa est universellement reconnue comme un être d'exception. Le rayonnement de son sourire, ses paroles fortes, sa foi inébranlable, et son incessante activité  laissaient croire que sa vie spirituelle baignait dans les eaux tranquilles de la certitude et de la tendresse divine. Or, il apparaît, à la lecture de lettres révélées à l'occasion de son procès en béatification et qui seront bientôt publiées en anglais, que cela n'était pas si simple.

"C'est en moi de terribles ténèbres"

Mère Teresa a connu, durant près de 50 ans, une longue et profonde "nuit de la foi". Cette expérience spirituelle, que connaissent certains grands mystiques ( Thérèse de l'Enfant Jésus, Elisabeth de la Trinité, Jean de la Croix...) est terrible: « J´éprouve que Dieu n´est pas Dieu, qu´Il n´existe pas vraiment. C´est en moi de terribles ténèbres. Comme si tout était mort, en moi, car tout est glacial " écrit-elle. En 1958, elle avoue "Tout le temps à sourire. Les Soeurs et les gens pensent que ma foi, mon espérance, mon amour me comblent en profondeur, et que l´intimité avec Dieu et l´union avec Sa volonté imprègnent mon coeur. Si seulement ils pouvaient savoir. »

(sources: La Croix)

 

La foi à l’épreuve du silence de Dieu

La foi traverse des épreuves. Michel Souchon, jésuite, rédacteur à la revue Croire Aujourd'hui, nous l'explique


 L'expérience du silence de Dieu est fondamentale et fondatrice

Le chemin de la foi traverse des épreuves. Ces épreuves peuvent aider au progrès et à l’approfondissement de la foi. Beaucoup de chrétiens disent que leur prière et leur foi se heurtent au silence de Dieu. Ils ont dit, comme le petit Samuel : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » (1 Samuel, 3,10), et ils n’ont pas entendu de réponse.

Cette constatation à peine exprimée, les consolateurs accourent. Ils ressemblent aux amis de Job : Comment pouvez-vous dire que Dieu se tait et vous plaindre de son silence, alors qu’il parle continuellement. Par la magnificence de sa création. Par les événements de nos vies. Par toute personne rencontrée. Par les prophètes, enfin, et surtout par son Fils : « Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils » (Hébreux 1,1-2).

Si justes, religieux et bibliques que soient les arguments des consolateurs, nous avons le droit de leur opposer l’entêtement de Job. Dieu parle peut-être à tout le monde, mais ce que j’attends, c’est qu’il me parle à moi. Est-ce trop demander ?

Non, il n’est pas prétentieux de demander une parole personnelle, car Dieu ne parle pas à tous indifféremment. S’il est beaucoup plus qu’une personne à la manière humaine, il n’est pas moins qu’une personne : il parle à chacun en particulier. Beaucoup s’épuisent à imiter, alors que Dieu veut qu’elles inventent leur vie avec lui sur un appel personnel. Dans l’Évangile, le « viens, suis-moi » est à la deuxième personne du singulier, l’appel est adressé à un seul. Ignace de Loyola rêve d’imiter Dominique ou François d’Assise, avant de découvrir sa voie propre, ayant entendu une parole personnelle.

Aussi avons-nous le droit de refuser les bonnes paroles des consolateurs. L’expérience du silence de Dieu est fondamentale et fondatrice. Julien Green note dans son Journal : « Je ne veux pas me parler à moi-même et croire que c’est Dieu qui me parle. Il y a d’abord le silence de Dieu. » Qui d’entre nous n’en a fait l’expérience?


La plainte des pauvres

Jésus, en tout cas, fait l’expérience de l’abandon du Père au cours de sa Passion et sur la croix. Il reprend la plaintes des pauvres qui, dans les psaumes, disent leur désarroi devant le silence de Dieu. Ils s’en plaignent souvent. Les psalmistes ne se résignent pas au silence de Dieu : leur plainte fait partie de leur prière. Exemples :
« Quand je crie, réponds-moi, Dieu, ma justice ! » (4,2)
« Mon Dieu, je t’appelle tout le jour, et tu ne réponds pas. » (22,3)
« Écoute, Seigneur, réponds-moi, car je suis pauvre et malheureux. » (86,9)
« Vite, réponds-moi, Seigneur. Je suis à bout de souffle ! Ne me cache pas ton visage. » (143,7)

Ce que demandent les auteurs des psaumes, je crois, c’est moins une parole audible qu’une réponse visible, une intervention en faveur de celui qui le prie ou du peuple qui crie vers lui. À celui dont ils disent : « Il parle et cela est, il commande et cela existe » (Ps 33,9), ils demandent une parole « performative », comme disent les linguistes 1 : « Fais que j’entende au matin ton amour » (Ps 143,8). Telle est la parole que demandent les psaumes, active et efficace, cette parole dont le Seigneur dit: « Elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée » (Isaïe 55,11).

La parole dite à Élie

La Bible ne contient pas seulement des paroles adressées à tous, mais aussi des paroles adressées à un seul. Des récits rapportent l’expérience de personnes qui ont entendu une parole personnelle. Ainsi Élie à l’Horeb (1 Rois 19,8-18).

Élie marche «quarante jours et quarante nuits». Il monte à l’Horeb, « la montagne de Dieu ». Il lui est dit : « Voici, le Seigneur va passer ». Ouragan, tremblement de terre et feu se succèdent : Dieu n’est pas dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans « le bruissement d’un souffle ténu ». Alors « une voix s’adressa à lui: ‘Pourquoi es-tu ici, Élie ?’ Il répondit : ‘Je suis passionné pour le Seigneur, le Dieu des puissances’ (…). Le Seigneur lui dit : ‘Va, reprends ton chemin en direction du désert de Damas. Quand tu seras arrivé, tu oindras Hazaël comme roi sur Aram. Et tu oindras Jéhu, fils de Nimshi, comme roi sur Israël…’. »

Ce récit comporte quatre moments. D’abord, une longue marche et la montée à l’Horeb. Il faut ensuite, pour ainsi dire, « laisser passer l’orage » et les autres voix puissantes des théophanies cosmiques : ne pas s’attendre donc à une voix forte, mais prêter attention à une parole discrète. Puis vient la question radicale: « Où en es-tu ? » Enfin une nouvelle parole donne mission.

Il y a d’abord la marche, un itinéraire. Se préparer à entendre une parole du Seigneur exige de la patience et du temps. Rien n’est impossible à Dieu, sans doute, mais il est bien rare qu’il parle aux gens pressés. Le goût retrouvé pour les pèlerinages manifeste que bien des chrétiens, et souvent des jeunes, sont prêts à entrer dans la patience et la longue préparation de la rencontre.

Le second enseignement du récit de la rencontre à l’Horeb, c’est la discrétion de Dieu. « Il faut parler haut pour qu’on vous entende. Il faut parler bas pour qu’on vous écoute », dit Claudel. Dieu parle bas. La discrétion est la marque de sa parole. Pour l’écouter, il faut tendre l’oreille. Écouter n’est pas facile. Comment s’étonner de ne pas entendre Dieu, puisque nous savons si mal écouter notre prochain?

« Où es-tu, Adam ? »

Le troisième moment de l’histoire d’Élie est la question fondamentale qui lui est posée : « Pourquoi es-tu ici ? » Où es-tu ? Où en es-tu ? Elle rappelle l’interrogation de Dieu dans le jardin : « Où es-tu, Adam ? » Martin Buber rapporte l’histoire d’un maître hassidique qui, incarcéré sur une dénonciation calomnieuse, reçoit la visite du capitaine de la gendarmerie. Celui-ci lui demande comment il est possible que Dieu l’Omniscient dise à Adam : « Où es-tu ? » Le Rabbi répond que, comme toute parole de la Bible, la question est adressée à tout homme : « En tout temps, Dieu interpelle chaque homme: ‘Où es-tu dans ton monde? De ceux qui te sont départis, tant de jours ont passé et tant d’années, jusqu’où es-tu arrivé entre-temps dans ton monde ?’ » 2.

Le quatrième moment de l’histoire d’Élie est la parole qui charge d’une responsabilité et envoie en mission. Il faut avoir le courage de répondre à la première parole, sans nous cacher (comme fait Adam), pour entendre la deuxième : « Va ». La première parole est interrogative, la seconde est impérative.

La rencontre de Pierre et de Jésus ressuscité comporte, elle aussi, ces quatre moments. La marche d’abord pour rejoindre le lieu de la rencontre indiqué par Jésus: « Allez dire à ses disciples et à Pierre : ‘Il vous précède en Galilée; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit’» (Marc 16,7). Puis une apparition discrète dans le silence matinal au bord du lac. La première parole est une question murmurée qui est interrogation sur l’essentiel: Après ma Passion et ton reniement, où en es-tu? «M’aimes-tu?» Et, pour finir, la seconde parole est, là aussi, envoi en mission: «Sois le berger de mes brebis» (Jean 21,1-19).

L’attention à la parole intérieure

Dieu emprunte souvent les mêmes voies pour s’adresser à nous. Longtemps, il est vrai, nous n’éprouvons que le silence de Dieu et nous cheminons dans la patience. Notre prière traverse la sécheresse des déserts. Toute épreuve nous paraît insensée. Nous lisons les Écritures et ce ne sont que paroles lointaines et impersonnelles. Cela ne nous dit rien, cela ne nous parle pas. Mais, si nous acceptons de durer dans la prière, en des instants de grâce, il nous est donné d’entendre une parole à un seul adressé. À l’appel de son nom, le cœur se met à battre et il fait l’expérience simple et forte qui lui permet de dire : « Elle est vivante, cette parole ! Elle est dite pour moi. Elle va changer ma vie. » François d’Assise entend lire dans une église le récit de l’envoi des disciples en mission, partant dans la pauvreté en messagers de paix. Il s’écrie : « Voilà ce que je veux ! » Ainsi commence la grande aventure franciscaine.

En de tels instants, c’est l’Esprit qui parle à notre esprit. Souvent par le rappel de paroles de Jésus, selon la promesse faite dans le discours après la Cène : « L’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jean 14,26). Alors nous faisons l’expérience des disciples d’Emmaüs: la rencontre du Ressuscité sur la route, l’écoute d’une parole brûlante qui remet en question notre vie et l’oriente vers l’assemblée priante, le retour dans la communauté des croyants qui témoignent : « Oui, c’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon » (Luc 24,34).

Ce retour dans la communauté est nécessaire. La prière, le conseil et l’accompagnement en Église authentifient une parole entendue, qui peut n’être qu’autosuggestion. Mais rien ne remplace l’expérience spirituelle, l’attention patiente à la parole intérieure. Et les signes de l’Esprit sont les premiers moyens de discernement : « Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » (Galates 5,22-23). Si la parole apporte joie et paix, c’est qu’elle vient de l’Esprit : « J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles » (Psaume 85,9).

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1) C’est-à-dire une parole qui exécute l’action qu’elle énonce en même temps et du fait même qu’elle l’énonce.2) Martin Buber, Le Chemin de l’homme, éd. du Rocher, p. 9. La place manque pour citer la fin de l’histoire et l’admirable commentaire de Buber répondant à la question : Que se passe-t-il dans cette histoire ?

Michel Souchon

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